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Kühlmann ayant donné aux neutres, Danemark, Hollande, Suisse, Espagne, une mention sympathique, en vient à la situation militaire. Là, naturellement, derrière l’armée allemande, sous la protection de Dieu et la conduite géniale de l’État-major, le ministre impérial des Affaires étrangères marche de victoire en victoire; il va même au-devant, et s’élance vers une victoire autrichienne que, dès cet instant, il devait savoir ne point rencontrer. Enfin, il reprend le thème fastidieusement rebattu des « responsabilités de la guerre, » et après tant d’autres, après lui-même, peut-être en d’autres occasions, il y introduit sa variante. Les responsabilités de la guerre, c’est surtout à la Russie qu’elles incombent ; la France et l’Angleterre en ont bien leur part, mais la Russie est la grande coupable : seule l’Allemagne est innocente ; elle n’a jamais voulu la guerre, et justement, le mois de juillet 1914, c’est le moment où elle devait la vouloir moins que jamais; si elle le devait, elle l’a fait parce qu’elle est l’infaillible autant que l’invincible Allemagne. Mais, aujourd’hui, que veut-elle ? C’est le point à retenir. Le reste, toutes les questions territoriales, nous les retrouverons à l’heure des négociations, quand elles se présenteront une à une comme autant de parties du statut universel que sera, en un seul tout et en un seul texte, le futur traité de paix. Sur chacune d’elles, nous tirerons alors de l’exposé de M. de Kühlmann des indications utiles. Pour aujourd’hui, contentons-nous d’apprendre de sa bouche, puisque c’est, officiellement, la bouche de la vérité, ce que veut le gouvernement de l’Empire.

« Nous voulons sur terre pour le peuple allemand, — et il en est de même, mutatis mutandis, pour nos alliés, déclare le secrétaire d’État, — dans l’intérieur des frontières tracées par l’histoire, vivre en sécurité, libres, forts, indépendants. Nous voulons avoir au-delà des mers des possessions répondant à notre grandeur, à l’étendue de nos capacités colonisatrices éprouvées; nous voulons avoir la possibilité et la liberté de porter sur la mer libre notre commerce et notre trafic dans toutes les parties du monde. » Remplir ce triple objet est, pour l’Allemagne, «une nécessité vitale; » autrement dit, il y a, pour l’Allemagne, une nécessité vitale, qui est tout bonnement de vivre, et, pour vivre, de réaliser trois conditions de vie qui, à première vue, paraissent raisonnablement et modérément énoncées; mais regardons-y de plus près : tout y rentre et l’on en peut tout faire sortir. Que de vague en cette fausse précision! « Dans l’intérieur des frontières tracées par l’histoire; » mais à quelle époque de l’histoire, qui est écoulement perpétuel et perpétuel changement, qui