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de celles qui l’exécutaient, 20 000 se seraient noyés; si, du Montello à la mer, 50 000 hommes seulement, comme on l’a prétendu, étaient passés sur la rive droite de la Piave, il n’a pas été long de compter ce qu’il en est resté.

Quel que soit le déchet, M. Wekerlé s’évertue à se consoler de la réalité par des imaginations, des visions et des chimères. Il se fait un tableau de ce qui aurait pu être, si ceci n’avait pas été. « Nous avons empêché une partie importante des troupes italiennes de partir pour le front occidental; » et il les voit déjà parties, bien qu’il n’ait jamais été question qu’il en partit plus qu’il n’y en a d’arrivées et qui marquent si honorablement leur présence. Mais, autant qu’une consolation pour soi-même, c’est une excuse envers le terrible allié allemand. Empêcher ces troupes de rejoindre le front occidental, le front français où l’Allemagne à fort à faire, voilà « le but qu’il était certainement de notre devoir d’atteindre, dans l’intérêt de la conduite générale de la guerre. » Ce qui est bien autrement certain, c’est qu’il y a de 150 000 à 200 000 Austro-Hongrois qui ne rejoindront de si tôt ni le front français ni le front italien. Au demeurant, M. Wekerlé se garde de dire qu’immobiliser une partie importante de l’armée italienne fût tout le dessein de Boroevic, inspiré par Ludendorff; il confesse que le but de l’entreprise « était de faire de grands progrès, » et qu’il a été manqué. « Cependant, conclut-il, nous n’avons aucune raison de perdre confiance. » Confiance « dans les actes de notre armée, » confiance « dans l’issue de la guerre. » Mais, de tout cet étalage de confiance, est étrangement absent tout sentiment de confiance; il n’y a que tristesse avouée : « Si tristes que soient les événements; » il n’y a que lassitude et dépression.

Tel est, avec ses obscurités, ses réticences et ses contradictions, le récit, par M. Wekerlé, de la déconfiture austro-hongroise de la Piave, et il eût été fâcheux d’en préférer un autre, justement parce que celui-ci est du président du Conseil des ministres hongrois. L’impression qui en demeure est que l’opération de Boroevic en Vénétie s’est finalement soldée ou, sans allusion à la colère du fleuve, liquidée par un vrai désastre. Les Italiens auraient-ils dû serrer de plus près, pousser plus vite et plus loin les troupes autrichiennes qui refluaient « en désordre? » Le général Diaz était le meilleur juge de ce qu’il voulait et de ce qu’il pouvait faire. Peut-être a-t-il pensé qu’il se trouverait, devant la Livenza et le Tagliamento, qui ont le même caractère, en butte aux mêmes difficultés, exposé aux mêmes risques, que les Autrichiens sur la Piave. Pour la