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la conscience professionnelle, le dévouement à ce que Paul Bourget appelle d’un mot juste et profond : le besoin du service.

J’ai connu ces concours dans leur plus beau temps : mes souvenirs remontent à plus de cinquante ans. J’ai été un peu de la maison et, — sinon pour la déclamation, du moins pour la musique, — j’ai approché de très près la fièvre de ces fins d’années. Quand on parle de l’importance que prenaient aux yeux des lauréats et de leurs maîtres ces concours publics, on n’exagère pas ; et je croirais plutôt qu’on s’en rend insuffisamment compte. Rien vraiment n’existait pour eux en dehors du succès ardemment convoité et l’on eût dit que la vie du monde entier se fût confinée dans cette petite salle. Jamais n’avait été mieux appliqué le précepte qui veut qu’on appartienne entièrement à sa tâche, et qu’on fasse ce qu’on fait.

En ce temps-là, une scène de concours donnait vraiment l’illusion du théâtre. Et puisque ces jeunes gens devaient faire leur carrière au théâtre, je ne trouve pas cela si ridicule. Non seulement les élèves jouaient dans u » vrai théâtre, un des mieux agencés et des plus harmonieux qui soient, mais ils jouaient en costume, et même avec un certain luxe, tout relatif, d’accessoires. Dès les premières répliques, ils sentaient s’établir la communication avec le public, souvent partial, mais si vivant, et qui leur épargnait, — oh, combien ! — l’impression de jouer dans un désert et de déclamer dans le vide. Un prix, remporté en de telles conditions, marquait une étape dans la carrière d’un comédien. L’heureux vainqueur, qui venait de triompher dans une scène brillamment enlevée, était aussitôt célèbre et son nom volait sur les lèvres des amateurs de théâtre. Tout Paris apprenait qu’un jeune premier, une ingénue, une soubrette lui était née, et il l’attendait à ses prochains débuts.

Le premier coup porté à ce système éprouvé fut l’interdiction du costume pour les concurrents. On prétexta que quelques-unes de ces demoiselles trouvaient le moyen de paraître en de coûteux accoutrements : cela créait une infériorité pour les autres, qui n’avaient pas les mêmes ressources. Il fut décidé que les élèves femmes joueraient Phèdre et Célimène en toilette de ville, et que les élèves hommes seraient Oreste ou Sganarelle en habit noir. Décision fort morale, et pourtant regrettable, car c’est une grande partie de l’art du comédien que de se costumer, et en costume on ne se tient, ni ne marche, ni ne parle de même qu’en vêtement de confection. Désormais, un contraste violent existait entre le rôle lui-même et l’image que son interprète en présentait aux yeux. C’est le trait dont s’était naguère emparé