Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le mysticisme ne lâche pas sa prise au gré de nos désirs ; il nous tient plus profondément, puisqu’il remplit notre subconscience, où il a, comme nous l’avons vu, partie liée avec l’instinct de vie, son inséparable compagnon. Notre âme en est pétrie et par lui seul atteint le sublime. Ceux qui pour le Devoir, l’Honneur, la Patrie, la Vérité, la Justice, la Paix et le Bonheur futurs de l’Humanité, délibérément donnent leur vie, sont des mystiques, qui confessent une idée mystique, hors de la pensée claire. De la plus nuageuse des abstractions ils font une réalité concrète, visible et tangible dans le sang qui s’échappe de leurs blessures, ils réalisent l’Esprit, et, par l’essentiel de leur acte, tout comme les martyrs voués aux bêtes du cirque, ils rendent Dieu présent parmi nous.

Cette vérité n’est pas nouvelle ; mais nos philosophes l’auront sentie, pratiquée, éprouvée, vécue, au prix d’indicibles souffrances ; elle aura pour eux une force d’action qu’elle n’a pas pour nous. Ils seront par elle préservés d’une erreur générale, qui sans cesse nous guette et chaque jour nous prend au piège. L’erreur varie de nom et de forme et selon le point où l’on achoppe, mais non dans son principe, toujours le même, qui est de s’attaquer avec l’intelligence aux choses que l’on peut seulement atteindre par un certain jeu, très direct et très cognitif, de l’âme tout entière. C’est l’erreur intellectualiste. Nous ne faisons aucune découverte.

L’erreur intellectualiste est fréquente, et nous en voyons un bel exemple à l’école du village quand elle veut fixer et exalter la vocation du petit paysan en lui donnant des notions de science agricole. Rien d’excellent comme ces notions, et plût au ciel qu’on en donnât davantage ! Mais, de grâce, ne comptez pas sur la géologie et la météorologie, ni sur la physique et la chimie, si bien enseignées qu’elles soient et adaptées aux travaux des champs, pour sauver la vocation paysanne. Celle du prêtre ne s’entretient pas par l’exégèse, ni celle du marin par l’hydrographie, ni celle du philanthrope par la démographie, mais toutes par d’autres voies et moyens, par d’autres forces.

L’intellectualisme est un jardin de délices, où les haies odorantes et les bosquets en fleurs cachent des murs qui en font une prison. Dans certaines questions, on touche vite les murs, qu’on presse au point de les rompre, comme par exemple