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possible par l’extraordinaire richesse du potentiel moral que chaque soldat avait emporté dans son cœur en courant à la frontière. Quinze jours d’une retraite précipitée et sanglante ne purent sérieusement l’entamer.

Du 28 août au 10 septembre 1914, notre hôpital lointain du Midi recul presque chaque jour des blessés qui venaient de ces durs combats. Ils nous arrivaient exténués par 90, 95 et même 102 heures de chemin de fer. A peine déshabillés, lavés, couchés, pansés, les hommes avaient de belles paroles. Sur le carnet du médecin, à chaque page, on peut lire ces mots : « blessés de retraite, non de défaite. » Ah ! ces premiers blessés, dont plusieurs, hélas ! ne nous quittèrent que pour mourir dans des batailles nouvelles, qui de nous, médecins ou infirmières, perdra jamais leur souvenir ? Aux jours d’angoisse ils furent notre réconfort.

Et pourtant un mois avant ces hommes, — c’est là que nous en voulons venir, — gens de tous les pays de France, de toute origine, de toute condition, étaient à leur travail, à leurs soucis, à leurs espoirs, leurs rêves, leurs passions, la plupart alourdis, accablés par la dureté des tâches quotidiennes, de tout occupés, sauf de guerre et de gloire, quelques-uns sur ce point fascinés par des mirages dangereux. D’où leur est subitement venu cet extraordinaire moral de la bataille ? D’où, sinon d’une invisible mobilisation de forces plus invisibles encore. Pour celle-là point d’appareil extérieur, aucune matérialité comme recrutement, livrets, gendarmes, chemin de fer et horaires. Nous sommes à un moment de spiritualité pure, où l’âme de la France révèle sa présence réelle à chaque âme individuelle et semble lui dire : « J’étais en toi, cachée, sans que tu t’en doutes, j’attendais, et maintenant me voilà dans ma splendeur tragique qui t’éblouit et te transfigure. » Une minute a suffi, celle de l’indicible émoi dont la France a tressailli le soir du 2 août 1914. Elle a suffi pour faire surgir des profondeurs de la subconscience et précipiter au combat toutes les réserves morales de la race…


Mais comment l’âme paysanne sort-elle de ces réserves profondes et cachées ? Nous touchons à un point délicat, mais essentiel, dans l’histoire de la subconscience. Il n’est pas