Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/386

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa maison rapportait net un million par an. Mais le plus curieux est que, si vous recherchez l’énorme supplément de richesse que la guerre leur a apporté, vous trouvez parfois ce bénéfice presque entièrement immobilisé en agrandissements d’usines anciennes ou en nouvelles créations. Dans le premier cas, il a fallu payer le terrain dix fois sa valeur à des voisins habiles à profiter de leur situation ; dans tous les cas, la construction et l’équipement hâtif de ces établissements, aux prix actuels des matériaux et des métaux, exigeaient un débours très supérieur à ce qu’ils vaudront après la guerre. Surtout qu’alors l’outillage exclusivement militaire sera sans objet et certaines sortes de machines sans emploi, en raison de leur nombre excessif sur le marché.

Les chefs d’entreprises, à qui l’on fait envisager les perspectives brillantes que promet, dans la lutte mondiale, la puissance quadruplée de leurs ateliers, se demandent anxieusement de quelle hauteur seront, au lendemain de la paix, les barrières douanières autour de chaque pays. Ignorant les conditions futures de la production dans l’univers, et si leur nouvel outil pourra servir, ils prétendent tous plus ou moins obtenir cet outil gratis ; c’est-à-dire opérer son amortissement intégral avant de donner à l’Etat sa part de 80 pour 100 des bénéfices de guerre.

C’est affaire aux commissions de divers degrés d’admettre ou de repousser ces prétentions. Disons toutefois que l’on se tromperait étrangement si, prenant pour base les dividendes distribués par de très importantes sociétés, aujourd’hui supérieurs de 10 ou 15 pour 100 seulement à ce qu’ils étaient en 1913, on en concluait que les profits réels n’ont pas augmenté davantage. On se tromperait de même si, constatant aux bilans publiés dans les journaux, que la valeur des usines ou le chapitre des « immobilisations » n’ont guère varié depuis le commencement de la guerre, on croyait, ou que le matériel nouveau est de peu d’importance, ou que les administrateurs l’ont mis au rang des dépenses ordinaires à déduire de leurs recettes annuelles.

Les bilans sommaires, livrés à la publicité, ne sont pas les comptes dans l’intimité desquels le fisc est admis, et qui lui servent à asseoir l’impôt. Si ces comptes, — protégés par le secret professionnel, — étaient connus, l’on serait surpris des