Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/380

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ces repaires féodaux, si dérisoires et tant surannés que le roi vous y met en pénitence ridicule.

Mme de Sévigné et Mlle de La Vergne restèrent à Paris. Le baron de Grésy allait leur rendre visite. Il trouvait Mme de Sévigné « fort belle ; » et malheureusement il ne parle pas de Mlle de La Vergne. Si Mme de Sévigné ne partit pas avec le chevalier, ce fut sans doute afin de ne pas dédaigner la bienveillance de la reine, sans doute aussi afin de veiller aux intérêts de l’exilé ; mais elle annonçait le projet de le rejoindre vers le printemps, lorsque la campagne serait moins affreuse et que l’infortuné châtelain de Champiré aurait mis en état d’habitation sa prison soudaine. Elle continuait de recevoir beaucoup de monde ; et le baron de Grésy note qu’on rencontrait chez elle plusieurs mazarinistes avérés : « Il ne faut pas douter, dit-il, que ce ne soit pour voir ceux qui fréquentent chez elle et savoir ce qui se dit, tant sur la détention de M. le cardinal de Retz que sur l’éloignement de l’ami… » L’ami : c’est le nom qui désigne le chevalier de Sévigné, dans cette correspondance diplomatique et circonspecte.

A Champiré, le chevalier de Sévigné s’ennuya trop pour y être seul jusqu’au printemps. Puis il était « un peu malade. » Dès le mois de janvier 1653, il appelait sa femme. Le 30 janvier, Mme de Sévigné comptait partir dans les quatre ou cinq jours : huit jours après, elle était partie.

Voilà, et pour de longs mois, Mlle de La Vergne loin de Paris et de la cour, en Anjou, dans la compagnie habituelle de sa mère, qui est une femme agitée, et de son beau-père, un bonhomme assez chagrin. Celui-ci, ce qu’il endure, c’est le tourment des conspirateurs désœuvrés ; c’est aussi l’ennui d’être sans nouvelles et de croire, tantôt qu’il ne se passe rien, tantôt qu’il ne se passe rien de bon. La pensée du cardinal le harcèle. Par moments, il court de mauvais bruits : « Le dernier que l’on nous a écrit de mon ami, — 3 août 1653, — c’est qu’il écoute des propositions qu’on lui fait, qui seraient tout à fait honteuses s’il les acceptait. Pour moi, je crois qu’il périra, plutôt que de rien faire d’indigne de sa réputation. » Savoir ! Et s’il transigeait, tant il a l’esprit mobile ? Sévigné languit, dans la détresse d’un partisan qui ne sait pas si son chef est sur le point de périr ou de se déshonorer. Mais il a, pour se consoler, sa fierté, sa fidélité souffrante : l’orgueil, même