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La Vergne ? « La Vergne est une grande ville fort jolie et si dévote que l’archevêque y a demeuré avec le duc de Brissac, qui en est demeuré principal gouverneur, le prélat ayant quitté… » Guy Joly et Bussy ne sont pas des camarades : et il ne faut pas dire que les deux témoignages se réduisent à un seul. Un témoignage n’est pas rien ; mais deux, non plus. Évidemment, il a couru des bruits fâcheux, et des calomnies, touchant Mlle de La Vergne et le duc de Brissac. Une petite de La Vergne, honnête fille, mais sans pruderie, et tout à fait déniaisée, assez imprudente : je n’en sais rien ; je le croirais.


Le chevalier de Sévigné se lie de plus en plus étroitement au cardinal de Retz. Il croit en lui et se prépare de cruelles déceptions. Il a déjà des craintes, mais avec beaucoup d’espoir. Jamais la situation n’a été plus confuse : et ce n’est pas pour déplaire au cardinal, qui s’amuse dans ce brouillamini. Que fait-il, en effet ? Il s’amuse. On a beau chercher son idée, on ne la trouve pas. Que le bien public ne le touche guère, ce n’est que trop certain. Mais que veut-il ? C’est l’ambition qui le mène. Et quelle est du moins son ambition ? Voilà ce qu’on ne saurait dire. La Rochefoucauld l’a bien vu : « Il paraît ambitieux, sans l’être… Il a suscité les plus grands désordres de l’État, sans avoir un dessein formé de s’en prévaloir… » La Rochefoucauld lui refuse l’ambition, mais lui décerne la vanité. Ce mot de vanité sert à deux fins : il désigne la qualité de l’homme vaniteux et la qualité de la chose vaine ou inutile. Si l’on regarde Retz dans le tracas de son existence, il est surtout l’émule de Mazarin ; d’ailleurs, cette émulation ne va pas tout de go à l’hostilité déclarée : elle emploie les petits moyens et les stratagèmes de la bonne intelligence. Mais enfin, Retz a-t-il le projet de supplanter Mazarin ? Non, répond La Rochefoucauld ; « il n’a pensé qu’à lui paraître redoutable et à se flatter de la fausse vanité de lui être opposé. » Il est un homme de désordre et qui fait du désordre autour de lui, comme il n’a que du désordre en lui-même : il donne ce qu’il a. Mais comment impose-t-il à tant de gens ? Il y a, parmi ses partisans nombreux, des hommes de désordre aussi, de moindre désordre, et qui ont en lui leur chef ; il y a des matins qui profilent de sa fortune et qui, dans ses réussites imparfaites,