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elle aimera ses enfants et le monde et les agréments d’ici-bas. Elle ne renonce point à se divertir ; elle ne renonce pas à plaire. Elle est jolie, blanche et rose. Elle sera désirée : elle veut l’être. Elle se refusera, mais sans la rudesse qui ensuite écarte les hommages. Elle sera une très honnête femme, dont les autres envieraient la destinée amusante. Elle ne doute pas du péril de cet arrangement. Elle se confie à ses goûts de netteté. Elle est un peu une chatte blanche. Elle se confie, pour un surplus de précaution maligne, à ce bon abbé de Coulanges : une chatte blanche, sous la tutelle du Bien-bon.

D’ailleurs, elle n’a point encore tout son génie. Son génie, ce fut bientôt l’épanouissement d’une âme gaie, tendre, curieuse, et d’une intelligence qui compose l’univers autour d’elle ; ce fut la spontanéité la plus heureuse, avec le don miraculeux d’avoir toujours sa plus parfaite expression dès le sentiment et puis dans les mots. Il lui manque, à la date où nous sommes, l’occasion de fleurir. L’occasion pouvait être un amour et sera l’amour maternel. Mais il faut que sa fille grandisse, se marie, aille au loin. Présentement, la future Mme  de Grignan n’a pas cinq ans ; son fils a deux ans de plus. Mme  de Sévigné la veuve est une petite veuve très entourée, très demandée, qui ne craint pas de vivre un peu dangereusement, qui surmonte tous les dangers : Bussy l’amuse, l’agace et ne la trouble pas. Le comte du Lude pense, un jour, l’avoir alarmée : ce n’est rien ; ce n’est que ce qu’elle a permis. L’abbé Arnauld l’a vue, peu d’années plus tard et quand elle a pris à peine un peu plus de placidité ; mais, avec beaucoup de grâce, elle en a déjà ; l’abbé Arnauld l’a vue, qui arrivait, dans son carrosse ouvert, entre M. son fils et Mlle  sa fille, deux enfants : et « tous les trois tels que les poètes représentent Latone au milieu du jeune Apollon et de la petite Diane, tant il éclatait d’agrément et de beauté dans la mère et dans les enfants… »

En ce temps-là, M. Ménage, étant né en 1613, n’avait pas quarante ans. Il n’était pis célèbre ; il commençait d’être connu. En 1649, Gui Patin, qui l’a rencontré dans la rue, l’appelle « un bénéficier angevin, homme de savoir et d’esprit. » M. Ménage lui a donné des nouvelles de M. Heinsius le fils, fameux philologue de Hollande, son ami. M. Ménage est lui-même un philologue. Il imprime ses Origines de la langue française, ou dictionnaire étymologique de notre langue, trésor un