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déférence à tout ce qui sérail glorieux pour l’Eglise ; mais, la possession démoniaque des Ursulines de Loudun n’étant pas article de foi, elle réservait sa créance. Elle envoya un jeune prêtre, l’abbé D. aux fins d’esquisser une enquête. L’abbé n’est pas de ceux à qui l’on en conte[1]. Il a du scepticisme ; et il a même de la méthode : il ne veut pas qu’on lui mélange le naturel et le surnaturel et il écarte l’explication mystique assez rudement dès qu’il trouve l’explication vulgaire suffisante. Il fit plusieurs séjours à Loudun, seul d’abord, ensuite avec Mlle de Rambouillet, — Julie et qui sera Mme de Montausier ; — puis vinrent Mme d’Aiguillon, le marquis de Brézé, Voiture, et M. de La Vergue. M. de Laubardemont, terrible organisateur du procès de Grandier, les accompagnait. Il y avait de la folie à Loudun. Autour des possédées, les exorcistes ne sont pas sans nulle analogie avec des entrepreneurs de spectacles. Des cris, des hurlements, des rires plus affreux que des sanglots, des contorsions dans la poussière, des grimaces, de très sales ignominies. Une foule railleuse ou délirante, allant, venant, courant, d’un diable à un autre, de Béhémoth qui habite la supérieure des Ursulines à Léviathan et Lorou qui habitent ensemble une veuve. Cette foule répand une odeur d’ail. Et l’on interroge les possédées, ou leurs démons. Les incrédules tâchent de les dérouter, en leur parlant latin, que les démons ne doivent pas ignorer, mais que les possédées ignorent : si les possédées répondent juste, c’est que les démons s’expriment par leur bouche. On leur tend des panneaux, où elles tombent, mais d’où les tirent tant bien que mal leur rouerie et la subtilité des exorcistes. On feint de leur parler grec : et c’est de l’anglais ; mais en définitive, si les possédées ne savent pas le grec, les démons ne sont pas forcés de savoir l’anglais, de sorte que le traquenard est esquivé. Les possédées produisent de grands effets d’étonnement par la rigidité qu’elles donnent à leur corps. Le jeune prêtre n’est pas dupe et trouve le moyen de leur faire plier le col en leur prenant la tête sous les oreilles ou en leur levant une jambe lorsqu’un ami s’occupe de leur tête. Les exorcistes se fâchent : il y a querelle entre l’un d’eux et l’abbé. Mme d’Aiguillon finit par éconduire les imposteurs : « Ne nous faites plus passer cela pour possession ! » dit-elle.

  1. La relation inédite de l’abbé D. est à la Bibliothrque nationale, fonds fr. 12801.