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On eût cru qu’ils couraient à une fête. Les habitants se regardaient rassurés : « Les Boches vont en prendre. » En effet, en ces heures tragiques, le soldat français ne rétablit pas seulement le combat ; il relevait les cœurs ; c’est sa crânerie, — avec le sang-froid de l’état-major, — qui sauva tout. Tandis qu’infatigablement penchés sur leurs papiers des officiers d’état-major organisaient les transports, des régiments couraient au combat avec un grand élan. Ils allaient défendre « le cœur de la France. »

Les renforts affluaient : du Grand Quartier, on pressait le mouvement ; Pétain avait tout à fait pris en main l’affaire ; il avait compris le dessein allemand ; Paris était menacé autant que l’armée britannique, et c’était affaire française.

Un Pétain donne à de pareilles heures toute sa mesure. Cette bataille qui n’était point la sienne, il l’avait saisie spontanément d’une main forme et d’un cœur assuré. L’émotion qui pouvait étreindre son âme, — car il y a derrière cette figure un peu marmoréenne une sensibilité frémissante, — ne faisait pas trembler son bras. Tout de suite il avait vu le péril, et toute sa grandeur. Sa large intelligence embrassait, dès le 21 au soir, toute l’étendue qu’à son sens allait prendre le champ de bataille. Il ne s’attardait point aux regrets. Il entendait secourir l’Allié ; il savait qu’il n’y avait qu’une bataille et que, ce faisant, il allait défendre le seuil de Paris. Le maréchal Haig ne demandait que deux divisions ; c’étaient vingt divisions que Pétain était prêt à jeter à la bataille. Avant même que l’ennemi eût dépassé le canal Crozat, il avait conçu que notre intervention ne se pouvait borner à quelques troupes jetées en renfort ; il avait aperçu la progression de notre effort et la marche de notre intervention : avant quatre jours, tout le champ de bataille passerait entre nos mains de l’Oise à la Somme et d’avance il y plaçait Humbert et son armée renforcée, Debeney et son armée constituée, et, pour préparer, avant même que Debeney fût en place, la liaison entre les opérations, Fayolle au-dessus d’Humbert et de Debeney.

Rien de plus ferme que les ordres qui ont donné, le 22, à Humbert le commandement des troupes alliées du canal à la région de Nesle, à Fayolle le 23 la possession du champ de bataille de Barisis à Péronne, le 24 à Debeney la mission de rétablir la soudure brisée entre les armées alliées. « La mission du G. A. R. (Fayolle) est d’assurer et de rétablir la situation au