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la 22e est précipitée vers Nesle, tandis que lev 2e cuirassiers, de la Indivision de cavalerie galope, vers la région Est de Chaulnes pour remplir l’intervalle qui s’est produit entre le 18e et le 19e corps britanniques. L’ennemi y est arrêté net et on espère que, contre-attaquant le lendemain, la 22e achèvera de rétablir là le combat.

Cependant, un autre renfort est arrivé ; le ciel s’est soudain rempli d’avions français ; ce ne sont plus escadrilles, mais escadres. On sait avec quelle rapide décision, à la nouvelle qu’une nouvelle trouée se faisait où les régiments ennemis tentaient de s’engager, le général Pétain les avait déchainées[1]. Pour la première fois, on va voir ces groupes d’avions évoluer ; déployés en ordre parfait : descendant très bas, ils fondent sur les colonnes allemandes en marche, les bombardent, les mitraillent, les dispersent affolées. Quelques jours après, je rencontrais, encore tout frémissants de cette merveilleuse entrée en lice, des revenants de cette bataille entre ciel et terre. « Nos cris de joie à les voir s’égailler, me disaient-ils, se mêlaient à leurs cris de frayeur. »

La nuit n’interrompit pas le combat : c’était pour l’ennemi une nécessité essentielle de bousculer nos premiers éléments qu’il sentait mal ravitaillés et mal fixés, mais pour nous une question de vie ou de mort de ne lui rien céder avant de l’avoir momentanément rebuté. Dans l’épais brouillard, les feldgrauen se glissaient ; on tâtonnait dans cette obscurité opaque coupée par les éclatements, déchirée par les fusées. Ainsi se terminait ce tragique « dimanche des Hameaux. »

Dès le soir, la consigne courait pour le lendemain : « Tenir. » Fayolle recommandait que, tout en barrant la route de Paris, de Noyon à Lassigny, on ne perdit pour rien au monde le contact avec l’armée britannique retraitant vers le Nord-Ouest. Mais si cette retraite continuait, comment l’armée Humbert pourrait-elle suffire à la double tâche ? Si elle s’étirait, elle pouvait être déchirée à son centre par l’attaque vers Noyon, Compiègne, Paris. Ce soir-là seulement, Debeney

  1. Pour les amateurs d’anecdotes historiques, je préciserai d’après le récit d’un témoin. Le général en chef était à table lorsque, le 22 au soir, Ma nouvelle survint d’une trouée à laquelle on ne pouvait immédiatement parer par des forces d’infanterie. Le général se tournant vers le colonel Duval, commandant l’aviation, lui dit : « Tout ce que vous avez d’aviation de bombardement sur l’Allemand. » Le colonel se leva, sortit, expédia l’ordre qui fut exécuté en trois heures.