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dépasser promptement la zone de défense forcée. Enfin, pour que la supériorité du nombre jouât, des divisions fraîches n’attendraient point, pour relever les divisions d’assaut, que celles-ci fussent hors de souffle ; glissant entre deux divisions engagées, une autre division fraîche viendrait déboucher en face d’un ennemi fatigué, et le combat se poursuivrait ainsi sans arrêt, sans à-coup, de façon que, par l’afflux incessant de nouvelles divisions, s’accrût d’heure en heure la disproportion du nombre et de la fatigue. La supériorité du nombre, les Allemands l’avaient, nous le savons, et elle se devait augmenter encore du fait de la surprise. » L’armée von der Marwitz était composée de 40 divisions : elle devait, entre Fontaine-les-Croisilles, au Nord, et Demicourt, attaquer la 3e armée britannique Byng, forte, si l’on peut dire, de quatre divisions ; mais l’énorme armée était celle de von Hutier : 37 divisions en face de la 5e armée britannique Gough qui ne leur en pouvait opposer que 10. Encore des réserves considérables devaient-elles promptement venir grossir l’armée assaillante, puisque finalement la valeur de 95 divisions aura été engagée dans ce formidable assaut. Quant aux pertes auxquelles expose un pareil système de « bourrage, » l’état-major allemand paraît en avoir accepté, sinon d’un cœur léger, du moins d’un cœur résigné, l’aléa ; la bataille étant, pour lui, « décisive, » c’était sans doute, à son sens, une économie que de sacrifier à la victoire quelques centaines de mille hommes, « pertes supportables, » diront les journaux officieux ; car ce qu’il faut obtenir, fût-ce en y mettant le prix, — qui bientôt cependant leur paraîtra excessif, — c’est la victoire : or, contre l’armée anglaise mise hors de combat avant que les divisions françaises puissent intervenir, et avec ce luxe de précautions et de mesures visant à doubler, tripler, décupler la valeur « incomparable » du feldgrau allemand, la victoire n’est point probable : elle est certaine.


V. — L’ATTAQUE DU FRONT BRITANNIQUE

Le 20 au soir seulement, les armées assaillantes sont en position. Depuis cinq jours, elles s’avançaient dans l’ombre des nuits, sombres, silencieuses, ordonnées, abattant parfois, du crépuscule à l’aube, 30 kilomètres, se terrant le jour,