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par von Hutier au Sud. Von der Marwitz est déjà un vétéran de la guerre de France ; chef habile, allant, expérimenté, il jouit d’un prestige qu’éclipsera cependant promptement celui de von Hutier. Celui-ci a fondé sa renommée dans la dernière phase de la guerre de Russie. Il est l’auteur ou tout au moins l’exécuteur habile de ce colossal Kriegspiel qu’a été la « manœuvre de Riga, » c’est l’homme de la grande attaque brusquée, le spécialiste des surprises.

Je ne parle que pour mémoire de cette manœuvre, en voie de devenir célèbre dans nos états-majors[1] ; elle avait été, je l’ai dit, pour l’état-major allemand, une sorte de « répétition générale » du drame dont von Hutier était destiné à jouer encore le principal rôle sur le front d’Occident. Le principe en était la surprise : c’est dire qu’il n’est nouveau que très relativement ; car depuis qu’il y a des stratèges, — et qui gagnent des batailles, — la surprise a été, neuf fois sur dix, considérée par eux comme le secret du succès : Frédéric II ni Napoléon Ier n’en ont connu d’autres, — ni aucun des grands capitaines de l’antiquité comme des temps modernes. Si le procédé paraît nouveau, c’est que, depuis trois ans, il avait paru difficile d’y avoir recours ; les travaux préalables qu’exige la préparation d’une attaque à grand renfort de matériel sur le front bastionné où elle se doit déclencher signalaient, — que l’attaque vint d’un côté ou de l’autre, — à l’adversaire la région où il devait porter ses réserves, et, si ces travaux n’avaient suffi à le fixer à ce sujet, la longue « préparation d’artillerie, » qui précédait en 1916 et 1917 les assauts de l’infanterie, était propre à l’alerter. Par ailleurs, la facilité que l’aviation a donnée aux états-majors pour surveiller les allées et venues des troupes adverses paraissait avoir achevé d’abolir la possibilité du secret. Ainsi avaient échoué, l’une après l’autre, les offensives tentées de part et d’autre sur le front bastionné d’Occident ; — d’où était issue la doctrine de l’ « inviolabilité finale des fronts, » trop généralement accréditée.

L’attaque par surprise de nos alliés britanniques sur Cambrai avait cependant démontré que, même sur le front occidental, une trouée était possible par un effet de surprise. Les Allemands avaient pu, par un concours de circonstances fortuites,

  1. Cf. une étude extrêmement frappante sur la manœuvre de von Hutier et son année dans l’Illustration du 1er juin 1918.