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arroi, vers les collines de l’Aisne, l’état-major allemand gardait une blessure au cœur. Le Nach Paris avait été le refrain dont la marche vers l’Aisne, l’Oise, la Marne avait été, du 28 août au 5 septembre 1914, scandée et excitée, mais Joffre avait fait rentrer dans la gorge des soldats allemands ce leitmotiv enivrant et brisé un rêve tout près de se réaliser. Mais ce rêve demeurait. Pourquoi, dans ces conditions, l’état-major avait-il, en 1916, usé tant de forces à attaquer si loin de Paris, sur les côtes de Meuse ? C’est que les critiques militaires ne s’étaient pas fait faute, en 1915, de dire que l’erreur avait été, en 1914, de marcher sur Paris sans s’être assuré de Verdun et que le kronprinz Frédéric-Guillaume, plus sensible que tout autre, on ne sait pourquoi, à ce reproche, avait, dans les conseils du grand quartier impérial, fait prévaloir une opinion qui, si j’ose dire, s’inspirait de « l’esprit de l’escalier. » L’échec de la tentative sur l’Est en 1916 avait ramené l’état-major allemand à sa primitive idée : celle d’un coup à tenter immédiatement sur l’Ile-de-France. Mais la bataille de la Somme de 1916, en contraignant l’Allemand à abandonner la Picardie et, de Noyon à la Fère, une partie de ses positions de l’Oise, la bataille de l’Aisne de 1917, en le chassant des plateaux entre Aisne et Ailette, avaient singulièrement reculé au Nord et au Nord-Est la ligne de départ pour un nouvel assaut. Il fallait, pour reprendre la route de Paris, se l’ouvrir au préalable en abolissant par une première offensive les résultats, soit de la bataille de la Somme, soit de la bataille de l’Aisne.

Du côté de l’Aisne, la tache paraissait assez ardue. On ne se décide d’enlever un massif que lorsqu’on n’a pu le tourner. On pouvait, à la vérité, tourner par l’Est les plateaux de l’Aisne : l’échec de notre attaque de 1917 sur le secteur de Craonne à Brimont avait laissé ouverte la trouée de Juvincourt. Et l’on pouvait penser que l’état-major allemand pourrait être tenté d’en profiter pour enlever Reims, tourner le massif par la vallée de la Vesle, le faire ainsi tomber et porter ses armées vers Soissons et Château-Thierry entre Aisne et Marne. Il y dut songer et notre état-major était autorisé à le croire.

En réalité, c’était par l’Ouest qu’Hinderburg s’était, dans les premiers jours de 1918, décidé à tourner l’obstacle. C’est que la bataille livrée en ces régions, entre Oise et Somme, pouvait ainsi être à deux fins. C’était frapper le front à un de