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point du front, compliquerait encore les mesures susceptibles d’y parer. Enfin, si unies que fussent les deux armées, elles n’en étaient pas moins simplement juxtaposées, et il n’est point besoin de s’appeler Hindenburg pour savoir que le point de soudure est plus qu’aucun autre point vulnérable, où s’accolent deux grandes armées indépendantes l’une de l’autre, obéissant à des chefs différents, ne parlant point la même langue, ne possédant point le même esprit et, en dépit de la relative unification des règles de combat, ne pratiquant point les mêmes méthodes.

Ainsi l’infériorité où, vis-à-vis du commandement allemand un et indivisible, nous mettait cette situation, ajoutait une supériorité à toutes celles dont l’armée allemande pensait jouir.

Jamais la situation ne serait si favorable, pensait-on à Berlin. Les Russes venaient d’abandonner l’Entente, mais si l’on différait, les Américains viendraient rétablir à son profit la supériorité du nombre qui restait, somme toute, l’essentiel. L’Anglais n’était que depuis quelques semaines en possession du secteur où il jouxtait la gauche française. L’armée allemande était encore toute remplie de l’orgueil que lui inspirait l’effondrement à ses pieds du colosse russe. Le moral de la nation en avait reçu un heureux coup de fouet. Il fallait attaquer en 1918. Fort de sa supériorité numérique momentanée, des nouvelles méthodes expérimentées en Russie, du matériel ramené du front oriental, de la foi, défaillante après Verdun, mais ranimée après Brest-Litowsk, de la nation, fort aussi de l’immense erreur qui avait fait rejeter par l’Entente l’unité de commandement et la doctrine de l’interpénétration, l’état-major se croyait plus sûr encore de la victoire qu’a la veille de sa grande défaite de la Marne. La victoire serait éclatante, rapide, écrasante, — et la paix allemande serait au bout.


II. — L’OBJET DE L’ATTAQUE

Sur quel point était-il le plus expédient d’attaquer ?

Sur celui où, de l’attaque brusquée, devaient, pour le vainqueur, résulter le plus de bénéfices éventuels.

Depuis que, dans les mémorables journées des 6, 7, 8 et 9 septembre 1914, Maunoury avait barré à von Klück la route de Paris ; depuis que, dans les journées des 10, il et 12 septembre, l’Allemand avait été reconduit, parfois en mauvais