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dont l’Autriche ferait les frais, qu’il le serait au profit de la Prusse Mais ce n’est pas une révélation, que la faiblesse de l’ancien Saint-Empire provenait notamment, d’une part de ce qu’il renfermait des nations non germaniques, à une époque même où la notion de nationalité n’était pas à beaucoup près aussi claire, aussi déterminante, que de nos jours, et d’autre part qu’il obéissait tant bien que mal à la fragile hégémonie de l’Autriche, qui n’était qu’une dynastie et n’a jamais été une nation. Ces deux particularités lui ôtaient beaucoup de sa puissance et éventuellement de sa malfaisance. Dans la combinaison nouvelle, le Saint-Empire germanique se reformerait contre les nations non germaniques du dedans et du dehors, sous l’hégémonie de l’Empire allemand et la direction sans contrôle du roi de Prusse de qui le pouvoir de nuire en serait formidablement accru.

Là est le danger mortel, le perpétuel défi, l’usurpation et la provocation universelles. Là est l’impossibilité. Non possumus. Pour les nations non germaniques qui hier étaient au dedans, la question est de savoir si, devant se former nécessairement contre elles, le Saint-Empire se reformera avec elles ou sans elles. Pour les nations non germaniques du dehors, il n’y a pas de question ; formé sans elles, il ne le serait que plus nécessairement contre elles. Il appartient aux unes de tâcher de faire qu’il se reforme sans elles : il appartient aux autres de tâcher de faire qu’il ne se reforme pas du tout.

Il y a des pierres en travers du chemin. La Bulgarie, comblée des présents de l’Allemagne, ne s’en sent pas accablée, et n’est pas contente de son lot. Pourquoi la moitié seulement de la Dobroudja? Pourquoi seulement cette demi-lune? Il lui faut bel et bien la lune tout entière, et elle n’en veut pas restituer une rognure au Croissant. M. Malinoff continuera dans cette pensée M. Radoslavoff, et dans cette pensée le tsar Ferdinand, mariant au génie bulgare l’âme des Cobourg, continuera le prince et le roi Ferdinand. L’Homme malade, ragaillardi, s’interroge : va-t-il bâtir ou planter? Des deux routes qui s’ouvrent à lui, vers l’Arabie et vers la Transcaucasie, laquelle va-t-il prendre ? Il se remet à rêver le vieux rêve d’un empire touranien, et, les détroits refermés, revit le souvenir d’une Mer Noire, lac ottoman. Mais l’Empire allemand n’admet pas qu’on rêve, en Orient, pour d’autres que pour lui-même. Ainsi l’Europe centrale n’est encore qu’une façade de toile peinte. Elle n’est pas encore faite. Elle n’apparaît triomphante qu’à un examen très superficiel. Sans doute elle a gagné militairement plusieurs manches de la grande partie. Mais aussi, même militairement, elle en a perdu plusieurs. Elle est