jusqu’à épuisement, pour que le monde soit prussien. Nous l’avons acceptée, nous la faisons, nous la mènerons jusqu’au bout pour qu’il ne le soit pas. Tout le reste, polémiques sur les origines et les responsabilités, au demeurant claires et certaines, ambitions territoriales ou appétits économiques, disparaît ou devient secondaire, par la déclaration de cette vérité, la vraie vérité, que l’Allemagne fait la guerre au monde parce qu’elle a du monde une conception à elle, proprement sienne, et ne se le représente que couvert et couronné de son casque à pointe. Ce n’est plus le Président Wilson qui le dit, c’est le Kaiser personnellement et solennellement. Et nous ne dirons pas d’un tel aveu, tombé d’une telle bouche, en un tel moment, — car ce serait trop contraire au langage des cours ou simplement à la bonne tenue du style, — que c’est, comme, ailleurs, on le dirait d’un autre, « la forte gaffe. » Mais nous oserons bien dire (au besoin, nous le dirions en latin : felix culpa) que c’est, de la part de l’Empereur, une « heureuse faute, » heureuse pour nous, qu’elle ne peut qu’affermir dans nos répugnances et soutenir dans notre résistance. Si jamais l’unanimité antiprussienne, entre les nations et à l’intérieur de chaque nation, eût couru des risques, Guillaume II, de ses mains et de ses lèvres impériales, pour la trentième année de son règne, l’aurait refaite.
Ce n’est pas, de la part de l’Allemagne, une moindre faute que d’avoir obligé l’Autriche-Hongrie à reprendre l’offensive en Italie, en liaison avec l’âpre et dure bataille qu’elle-même, depuis trois mois, poursuit en France. L’Autriche, non seulement libérée, dans le présent, de l’invasion et soulagée de la pression russe, mais débarrassée à l’avenir, du moins pour quelque temps, du voisinage immédiat, du contact d’une grande Russie; entourée, comme d’une ceinture de sauvetage, de coussinets de petits États amorphes et inexistants; affranchie aussi! de la double hantise d’une grande Serbie et d’une grande Roumanie, réintronisée en Transylvanie, à Trieste et dans le Frioul, revenue au-delà du Tagliamento dans son ancien royaume vénitien, tant pleuré de François-Joseph ; alléchée et satisfaite par la promesse d’un gros morceau de Pologne ; victorieuse en collaboration, mais dans l’illusion de l’avoir été grâce à la vertu de ses armes, contre toutes ses traditions et toutes ses habitudes ; anémiée enfin par les saignées et les privations ; l’Autriche ne demandait qu’à se reposer sur un lit de lauriers, en laissant aller seuls au bois ceux qui n’estimaient pas, comme elle, qu’ils fussent tous coupés, et qui ne trouvaient pas leur lit de triomphe assez haut.
Mais l’Autriche n’existe pas ou n’existe plus pour en faire à sa