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et la rivière de l’Oise, la poche s’approfondissait, le 1er au soir, au-dessous de Ribécourt, jusqu’à Machemont et à Mélicocq. La ligne était alors, à peu de chose près : Sud du Frétoy, Ployron, Courcelles, Est de Méry, Sud de Belloy ou de Saint-Maur, de Marquéglise, de Vandelicourt, Est de Ribécourt. A notre gauche, le terrain, en angle aigu, dessinait comme un bec qui allait se révéler dur et formidable. En effet, le 11, à l’aube, se détachait de là une riposte foudroyante. Le plateau de Méry était reconquis, la ligne reportée d’un ou deux kilomètres au Nord : le Frétoy, Sud du Tronquoy, la cote 90 entre Courcelles et Mortemer, Est de Belloy, Saint-Maur. Mais le gain ainsi mesuré en surface n’est rien. La violence du choc qu’il recevait dans son flanc gauche coupa la respiration à l’Allemand époumoné. Parti pour Compiègne à un pas que ses pertes ne lui permettaient point de dire un pas de parade, mais qui n’en était pas moins un pas allongé, il resta le pied suspendu. Il chancela, tournoya, reçut sans tarder une autre bourrade dans le flanc droit, et finalement, s’il ne tomba pas, dut s’asseoir au bord du chemin. La situation était rétablie dans la mesure où le plus pressant des périls était conjuré. Sur la rive opposée, rive gauche de l’Oise, notre front était bien ramené, par précaution, et pour alignement, à Bailly où il s’appuie à la rivière, et nous abandonnions la forêt d’Ourscamp et le bois de Carlepont. Nous les abandonnions malheureusement, mais volontairement encore, sous la menace, non sous la contrainte; nous nous en retirions, pour n’y pas être enveloppés, mais nous n’en étions pas chassés, et, vers le Sud, vers leur objectif convoité, la forêt de Laigle couvrait et interdisait aux Allemands la forêt de Compiègne.

Ce n’est pas grossir l’événement que de dire qu’il a suffi d’une minute et d’un homme pour faire hésiter et peut-être changer le Destin : d’un homme qui aperçût et saisît l’occasion dans la seule minute où la Fortune pouvait être forcée. On nous a depuis quatre ans tellement condamnés, et nous nous sommes tellement accoutumés à l’anonymat de la gloire, que, ce général victorieux, il a semblé pendant toute une semaine qu’il y eût une consigne de ne pas le nommer. Mais l’ingénieuse indiscrétion de la presse, sûre de se rencontrer avec l’ingénieuse curiosité du public et son besoin profond de personnifier sa gratitude, a accumulé les périphrases, les épithètes, les allusions. Et le voile n’était ni épais ni difficile à déchirer. C’était le chef prompt et tenace qui avait arraché à l’ennemi les restes du fort de Douaumont; celui qui, l’an dernier, l’avait bousculé sur l’Aisne et qui, dans le premier feu d’une action trop tôt interrompue par la faute d’autrui,