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d’inventeurs, » Lemaître le disait et, prudemment, ne disait pas davantage.

Une philosophie de l’histoire est toujours imprudente. Cela tient à ce que la réalité se moque de nos doctrines. Cela tient peut-être aussi à ce que la réalité est dans le détail : et la philosophie se moque du détail. Entre la philosophie et l’histoire, il y a cette contrariété de nature. Pour plier l’histoire à la philosophie, l’on a besoin d’aller fort, avec entrain.

Mais la philosophie de l’histoire que M. Seillière a élaborée, si nous la dégageons de l’appareil un peu systématique où il l’a contrainte, je crois que c’est la priver de ce dont elle s’enorgueillit ; je crois pourtant que c’est la délivrer. Elle devient alors une opinion sur l’histoire : l’opinion d’un poète et d’un moraliste. Il y a de la poésie, et fort belle, dans cette vue mélancolique de l’humanité sans cesse tourmentée par les combats de la sagesse et de la déraison ; la déraison ne devant jamais être éliminée, puisqu’elle est en l’essence même de l’activité ; la déraison ne pouvant être que disciplinée par la sagesse ou l’expérience. Il y a l’œuvre utile et vraie d’un moraliste dans cette analyse des dangers de la sensibilité récente o. contemporaine qui refuse les disciplines, sacrifie l’expérience à l’idéologie et, par ses folies, serait assez guyonienne, en somme. M. Seillière n’a peut-être pas démontré que, par l’intermédiaire de Rousseau, la plupart de nos erreurs les plus périlleuses dérivent de cette folle femme : du moins nous donne-t-il à considérer ce terrible symbole de l’inspiration déraisonnable. Veuillent nos illuminés de toute sorte en redouter la ressemblance !


ANDRE BEAUNIER.