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UN ROMANCIER ITALIEN

M. GUIDO DA VERONA


I

Mimi Bluette, Fleur de mon jardin : c’est le roman que les libraires vous tendent sans hésitation, lorsque vous demandez le livre à la mode. Leur vitrine n’a point d’ornement plus en vue que la couverture de Mimi Bluette : laquelle représente une femme douloureuse et dévêtue, qui s’avance à travers des stalactites bleues. Tout le monde lit Mimi Bluette : les femmes, les bourgeois, et les soldats au front. Les critiques protestent, s’indignent contre un public assez fou pour aimer un roman qu’ils n’aiment pas. Le public obstiné continue à lire Mimi Bluette, et ne lit pas les critiques. Alors ils se mettent tout à fait en colère, et s’en prennent à l’auteur, qu’ils accusent de tous les crimes. L’auteur reçoit des demandes d’autographes, des lettres d’amour, des lettres d’injures. Bref, c’est le grand succès.

C’est un succès de vente exceptionnel. Les éditeurs de M. Guido da Verona parlent de lui avec des inflexions de tendresse. Il n’est pas de ces écrivains misérables qui ne rapportent pas l’argent qu’on a risqué sur eux : c’est un capital vivant. Je sais bien que le mérite d’un auteur ne se mesure pas au nombre d’exemplaires vendus : cependant regardons les chiffres, par curiosité : les chiffres ont toujours quelque chose d’amusant… Il n’est guère de romancier plus illustre que M. Gabriele d’Annunzio. Ses Vergini delle Rocce sont à leur vingt-deuxième mille (nous parlons du texte italien, et non pas des traductions) ; Forse che si a été tiré à vingt-neuf mille exemplaires, Il Fuoco à trente et un mille ; Il Trionfo della Morte à trente-deux mille ; l’œuvre la plus favorisée a été Il Piacere, arrivé à