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avance. Le voici, par isolés, progressant de trou d’obus à trou d’obus. Mais noire feu crépite ; les mitrailleuses s’y ajoutent de la voix ; l’acier s’échauffe entre nos mains ; sa brûlure nous enfièvre ; nous sommes à cette heure les maîtres de la mort. L’ennemi s’arrête ; il recule ; il se couche. Nos feux le cherchent ; il régresse ; le voici derrière la crête.

« A notre tour maintenant ; nous voilà repérés, » me dit un mitrailleur. Deux taubes au-dessus de nos têtes jettent sur nous des fusées. Il ne s’en faut pas d’une minute ; un bombardement furieux nous secoue, nous enveloppe. Sous le martèlement incessant, la tranchée s’élargit, elle s’écrase, elle se referme sur les explosions. Sans abris, le nez en l’air et tenant toujours sous nos fusils crépitants la crête du Mort-Homme, nous sentons sous nos pieds les ébranlements continus, sur nos têtes les éclatements assourdissants qui nous attestent les vibrations de plus en plus rapprochées, de plus en plus furieuses de la main de la mort.

— Voici mes derniers renseignements, me dit mon camarade. Les Allemands progressent par la Hayette ; l’ouvrage Gers qui nous couvre à gauche est dans leurs mains ; notre position menace d’être encerclée.

— Merci. Je cours avertir mon commandant.

— Une seconde. Voici du nouveau. On me donne l’ordre de contre-attaquer sur l’ouvrage Gers avec ma compagnie. Je m’y attendais.

— Nous nous élargirons sur vos emplacements à mesure que vous les délaisserez. Bonne chance.

Sur la route du bataillon, des cadavres, une vingtaine chauds encore, des isolés, des groupes ; une mitrailleuse écrasée, ses quatre servants autour d’elle, comme en croix. En route, voici Erkens.

— Peux-tu me donner du renfort ?

— Pour quoi faire ?

— Je devais reprendre l’ouvrage Gers avec mes grenadiers ; j’ai dit au commandant qu’il ne m’en reste qu’un. Je dois me débrouiller quand même ; il faut que l’ouvrage soit repris.

— Rassure-toi, lui dis-je. Tu peux annoncer qu’à cette heure la division voisine engage le coup.

Le commandant vu, mes instructions reçues, j’ai retrouvé mes hommes.