Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/180

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur, elle nous réduit aux frissons de la chair. L’honneur, cette exaltation hautaine de soi, et qui s’imposait aux autres, n’entre point dans son cadre ; dès lors, réalité d’idéal, l’esprit peut-il se distraire de la mort ? Celle-ci n’est plus, comme autrefois, un accident heureux, un coup de théâtre ajoutant au succès du rôle de celui qu’elle touchait, le suprême effet d’un acteur applaudi ; alors il chantait en tombant ; ses souffrances lui faisaient une beauté. C’est une foudre soudaine et qui frappe dans la nuit : et son fracas vous étouffe tout cri.

« L’honneur se réduit aujourd’hui à ne faire que son devoir ; encore n’est-il pas d’envergure. Notre rôle est borne ; c’est un effort mesquin, régulier, continu, obligeant à l’humilité ; il n’exige de nous que nos vertus médiocres. C’est devenu une faute militaire de le dépasser.

« La grandeur de cette guerre, si mesquine dans notre action, n’est plus dans la beauté d’un rôle, mais dans la durée d’un effort à soutenir. Il est plus beau d’avoir duré que d’avoir survécu ; il n’y a que le soldat pour le savoir.

« Cette conception si nouvelle était contre l’âme, française. Nous avons la parade dans le sang ; nous n’avons si grande joie que d’être différents ; ces principes, jusqu’alors, suffirent à notre action. Combien d’erreurs, de fautes du début s’excusent de cette façon ! Notre cœur suivit ses traditions ; nous faillîmes en mourir. Toute la difficulté ensuite fut de changer de vertus.

« La guerre, aujourd’hui, c’est un effort dans le temps, non un effort dans l’espace ; il s’agit moins de gagner du terrain que de durer sur place. N’est-il pas un critérium absolu de toute s beauté qui nous fait toucher du doigt la cause de notre tristesse : « En toutes choses, la vie étant le mouvement, la mort « dans le mouvement a plus de sublime que la mort dans l’immobilité ? »

« Si grandiose que soit le but, la tristesse de cette guerre, c’est la médiocrité des actes qu’elle exige. Il y faut servir non avec des mains nobles, mais avec des mains plébéiennes ; on y est le serf d’un outil, non le maître d’une épée. Quel panache mettre quand le premier acte est de se tremper dans la boue et de s’y uniformiser ? Quel cœur lui donner lorsqu’elle n’exige de nous que nos vertus médiocres et nous fait tenir en mépris celles sur quoi nous trouvions jadis quelque prix à nous estimer ?