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VERDUN
MARS-AVRIL-MAI 1916

II.[1]


II. CINQ JOURS AU MORT-HOMME (suite).

Je sortis à midi ; j’avais besoin de me rassurer ; j’espérais rencontrer des têtes du régiment. Mais les abris étaient le plus souvent déserts et, sur la route, le danger créait la solitude. Parfois, le cœur battant, je soulevais une toile de tente et j’appelais dans la nuit d’un abri ; des hommes se réveillaient ; ils m’injuriaient, puis, à bout de mes instances, me jetaient le numéro d’un régiment inconnu. Je désespérais et j’allais m’abandonner au destin quand, à l’entrée d’une sape, au tournant d’un boyau, j’aperçus un soldat du régiment ; il était assis sur le bord, les épaules couchées à terre, la tête ouverte comme une noix, sa cervelle auprès de lui. A ses derniers sursauts, il m’apparut que la mort ne remontait qu’à quelques instants. Je lui tâtai le poignet ; il était tiède. Cette mort encore toute chaude me fut une boussole ; en présence de ce malheur, je me sentis moins seul ; je détournai la tête du spectacle d’horreur, et, l’esprit plus en place, je repris mon chemin.

Un abri s’ouvre devant moi, des voix en sortent ; j’en soulève la toile. Quel cri de joie, car Nicot est devant moi, les yeux

  1. Voyez la Revue du 15 juin.