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On essaye vainement de l’atténuer, en disant que la répugnance pour l’augmentation des charges militaires était partagée par toutes les nations démocratiques. Une faute commune, en présence des préparatifs de l’Allemagne, n’est pas une excuse. On invoque aussi les mesures législatives, — bien tardives, — prises pour le renforcement de notre armée. D’avoir vu le péril à la veille du conflit ne fait qu’aggraver le manque de clairvoyance du passé. Nos amis, les Français, n’ont-ils pas trop compté, eux aussi, sur la solidité du rempart artificiel que la neutralité avait élevé autour de nous et qui semblait couvrir par surcroît une partie de leur frontière ?

Il est d’autres griefs qu’on formule contre elle. Et d’abord, ce régime d’apparente sécurité, de paix soi-disant assurée, nous diminuait vis-à-vis des autres États secondaires. La Belgique ne paraissait pas capable, comme eux, de poursuivre sa libre existence sans une protection spéciale, qui avait un peu l’air d’une surveillance. Elle était traitée en jeune personne, à qui toute coquetterie est interdite avec le voisin. Ne confondons pas en effet son statut international avec celui d’une autre neutre, la Suisse. La neutralité de la République helvétique, admise de temps immémorial, reconnue et garantie par les Puissances signataires de la déclaration du Congrès de Vienne du 20 mars et du traité de Paris du 20 novembre 1815, avait été un acte de sa propre volonté. Celle de la Belgique fut le fruit de la volonté réfléchie des grandes Puissances, mues par des sentiments bienveillants, mais égoïstes.

En réalité, ces Puissances avaient empiété sur notre souveraineté nationale, en la grevant d’une servitude perpétuelle ; elles avaient limité notre indépendance, puisqu’une alliance avec l’une ou l’autre d’entre elles ne nous était pas possible et elles nous condamnaient à un isolement indéfini. Cet isolement, nous l’avons patiemment supporté pendant près d’un siècle. La menace même d’une invasion de notre territoire par une armée allemande, que dénonçaient la plupart des écrivains militaires, n’a pas jeté nos hommes d’État dans une alliance préventive avec la France et l’Angleterre. Le droit des gens établit cependant une distinction entre l’alliance ayant un caractère défensif et les autres. La première est autorisée au profit d’un État neutre. Mais à voir le parti que l’Allemagne cherche à tirer aujourd’hui d’une prétendue convention