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« Maintenant, est-ce à vos abonnés que j’ai affaire ? Je ne les connais pas… Je n’ai jamais travaillé pour leur plaire. J’ai travaillé pour gagner ma vie, en n’écrivant jamais une ligne contre ma conviction. Si j’ai plu à vos abonnés, peu m’importe, j’aurais pu tout aussi bien plaire à un autre public que je n’aurais ni ménagé, ni connu davantage… Depuis qu’il vous a plu de me sermonner comme si vous étiez un cuistre et moi un marmot, la Revue m’ennuie considérablement. Donc, si vos abonnés disent être indignés de mon roman, laissons-les tranquilles et laissez-moi tranquillement faire mes utopies, puisque utopies il y a.

« Enfin, est-ce au gouvernement que j’ai affaire ? — Vous m’avez toujours dit, juré, répété, que la Revue était et serait toujours indépendante !…

« Pour les corrections… depuis votre seconde lettre, et après avoir examiné mon manuscrit, je vois clairement que vous me demandez l’impossible. Vous voulez tout bonnement que je parle d’une époque sans y faire participer mes personnages, que je vous montre des étudiants de 1830 dévoués au gouvernement de Louis-Philippe, un démocrate prolétaire qui ne s’afflige pas, après les journées de Juillet, du rétablissement de la monarchie, vous voulez des grisettes qui ne soient pas des grisettes, et dans la vie desquelles il ne faut pas entrer ; vous voulez que je parle de la bourgeoisie, et que je ne dise pas qu’elle est bête et injuste ; de la société, et que je ne la trouve pas absurde et impitoyable… relisez donc deux ou trois pages de Jacques et de Mauprat. Dans tous mes livres, et jusque dans les plus innocents, jusque dans les Mosaïstes, jusque dans la dernière Aldini, vous y verrez une opposition continuelle entre vos bourgeois, vos hommes réfléchis, vos gouvernements, votre inégalité sociale et ma sympathie constante pour les hommes du peuple. Benedict est un paysan, Mello (de la dernière Aldini) est un gondolier, Simon un autre paysan, Geneviève une grisette.

« Tout cela pour vous dire que je ne veux aucune coupure et aucun retranchement. Je puis changer un ou deux mots dans la première partie, pas davantage. Bonsoir ; vous me prouveriez que cela me discrédite, me perd et me ruine, je suis têtue à cet endroit-là et me ruinerai de bon cœur, pourvu que je dise ma pensée.

« La deuxième partie n’est mêlée à aucune action politique,