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et pénible jusqu’à la sortie de France. En mer, nous avons été très vaillants, sauf Solange, qui a eu un peu de mal au cœur, comme on dit. J’ai pris vingt fois la plume (comme on dit encore) pour terminer les cinq ou six pages, qui depuis six mois manquent à Spiridion. Ce n’est pas la chose la plus facile du monde que de donner la conclusion de sa propre croyance religieuse, et je vous assure qu’en voyage c’est tout à fait impossible. Je me suis arrêtée dans vingt endroits, avec la volonté de me recueillir et d’écrire, mais ces repos ont été les pires fatigues du voyage. Les visites, les dîners, les promenades, les curiosités, les ruines. La fontaine de Vaucluse, Reboul et les arènes de Nîmes, les cathédrales à Barcelone, les dîners à bord sur les vaisseaux de guerre, les théâtres italiens d’Espagne (quels théâtres et quels Italiens ! ), les guittares (sic), que sais-je, moi ? Le clair de lune à la mer, et Palma surtout, et Mallorque, la plus délicieuse résidence du monde. Voilà qui m’écarte terriblement de la philosophie et de la théologie. Heureusement, j’ai rencontré ici de superbes couvents en ruine avec des palmiers, et des aloès, et des cactus, au milieu des mosaïques brisées et des cloîtres délabrés, et cela m’a remis sur la voie de Spiridion ; de sorte que, depuis trois jours, j’ai une rage de travail, mais jusqu’à présent impossible à satisfaire, car nous n’avons ni feu ni lieu. Pas d’auberge à Palma, pas de maison à louer, pas de meubles à acheter. Quand on arrive, on commence par acheter un terrain, après quoi on fait bâtir, et puis on commande des meubles. Ensuite on obtient du gouvernement la permission de demeurer quelque part, et enfin au bout de cinq à six ans on commence à ouvrir sa malle et à changer de chemise, en attendant qu’on ait obtenu de la douane la permission de faire entrer des souliers, et des mouchoirs de poche. Voilà donc quatre jours seulement que nous allons, de porte en porte, demander à ne pas coucher dehors et nous espérons dans trois jours être installés ; car un miracle s’est opéré en notre faveur. Pour la première fois de mémoire d’homme, à Mallorque, une maison meublée s’est trouvée à louer, maison de campagne, charmante, dans un désert délicieux, mais que le propriétaire, juif, à ce que je crois, nous fait marchander.

« C’est pour vous dire que le bateau à vapeur d’aujourd’hui vous portera ma lettre seulement, ce qui ne charmera pas Buloz,