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Tout ce monde est gai, d’ailleurs tout ce monde part, « le ciel est superbe, et la mer est la plus bleue, la plus pure, la plus unie. » George a prévenu F. Buloz qu’elle voyageait avec Mendizabel[1], et F. Buloz a répondu : « Gare à l’hidalgo ! »

Il viendra une heure, — et bientôt, — où cette joie sera changée en lassitude, cette gaieté exubérante en découragement. L’accueil hostile des Majorquins, la solitude, l’éloignement, la pluie… la pluie surtout, la pluie terrible qui inonde et submerge Palma, et la Chartreuse « la plus poétique du monde, » pendant vingt jours de suite. Comment résister à cela ? et puis Chopin malade, énervé, fiévreux… Oui, c’est une « pitoyable expédition. »

Cependant F. Buloz s’impatiente, il ne reçoit plus rien (c’est que les bateaux ne quittent pas l’île par le mauvais temps, « les cochons ne pouvant supporter le mauvais temps »). Il ne reçoit ni Spiridion, qui décidément ne « vient » pas facilement, ni le fameux drame, qu’il désire apporter aux Français ; et il écrit : « Tâchez donc que je l’aie pour le Ier décembre (la fin de Spiridion) ; vous me ferez bien plaisir aussi de m’envoyer d’autres Lettres d’un voyageur ; vous visitez un pays tout nouveau pour vous, et qui doit vous inspirer de belles choses. J’ai parlé de votre drame au Théâtre-Français, vous, serez la bienvenue ; on est ravi de pouvoir jouer quelque chose de vous. Envoyez-moi donc votre drame aussitôt que vous pourrez, ce serait une excellente manière d’inaugurer mon arrivée là, si je puis y faire venir des compositions plus élevées qu’Angelo et Caligula[2]. »

Pendant ce temps-là, George Sand voyage. « Nous voyageons, ou plutôt nous fuyons, car il ne s’agit pas tant de voyager que de partir, entendez-vous ? Quel est celui de nous qui n’a pas quelque douleur à distraire, ou quelque joug à secouer ? Aucun[3]. »

Elle avait écrit à son amie, Christine Buloz, le 19 novembre 1838 :


« Ma chère Christine,

« Je suis à Palma depuis quatre jours seulement, mon voyage a été fort heureux, mais assez long comme vous voyez,

  1. Mendizabel, ministre d’Espagne, « mais il ne s’agissait pas de le retrouver à Perpignan, il s’agissait de retrouver Chopin » (Karénine).
  2. Collection S. de Lovenjoul. Inédite.
  3. Un hiver à Majorque, p. 29.