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une telle secousse, en position de pouvoir attendre le dixième jour.

Pour occuper les jours qu’il nous faudrait attendre encore, passé le dixième, interrogeons-nous, méditons. Quel est l’objectif de l’ennemi? Paris? Oui, sans doute, comme objectif immédiat, mais plutôt comme moyen que comme fin. La fin, pour l’Allemagne lassée, et qui a battu le plein de ses forces, qui les voit déjà décliner, qui sait que celles de l’Entente vont se renouveler et grandir, ne peut être que la fin de la guerre par la victoire. Mais la victoire allemande suppose l’écrasement irréparable des armées franco-britanniques avant l’entrée en ligne réelle de l’armée américaine. Ni cet objectif immédiat, ni ce suprême objectif, l’Allemagne n’atteindra ni l’un ni l’autre. Mais faisons une seconde seulement une hypothèse à la fois absurde et impie. Supposons l’objectif immédiat atteint. La guerre n’en serait point terminée. Si pourtant eux, les Allemands, admettent cette hypothèse absurde, s’ils se flattent de voir leur rêve réalisé, et le fût-il par impossible, qu’est-ce que cela leur donnerait? Sans rien rabattre de tout ce qu’est Paris pour la France, moralement et matériellement, à cause de notre histoire, de nos traditions, de nos lois, de nos mœurs, de la géographie même, Paris, avec tout ce qu’il est, néanmoins n’est pas toute la France. Mais il y a plus, et la France elle-même n’est pas toute l’Entente. Les événements au milieu desquels nous menons depuis quatre années une vie entrecoupée et anxieuse dépassent tellement la mesure ordinaire des choses que nous connaissions, que nous concevions et que nous faisions, ils ont si peu de commune mesure avec les incidents de notre vie antérieure, qu’il nous est difficile de mettre à leur échelle nos jugements et nos sentiments, nos jugements plus encore que nos sentiments. Cette guerre n’est pas, comme nos guerres précédentes, une guerre française. Ce n’est pas une guerre de la France contre l’Allemagne, c’est une guerre universelle, la première qui ait ce caractère et qu’on ne puisse pas, pour chaque nation, réduire à des mobiles égoïstes, sans la rapetisser. Elle se poursuit surtout en territoire français, mais ce n’est pas la France seule qui se bat pour sa terre. L’Empire britannique verse sans cesse dans nos ports de la Manche, et les États-Unis versent de plus en plus dans nos ports de l’Atlantique, leurs contingents, leurs armes, leurs produits, leurs ressources. Ils viennent sur la terre française rencontrer l’ennemi et livrer la bataille de l’humanité. Tant que l’humanité n’aura pas gagné sa bataille, ou tant que toute l’humanité ne l’aura pas tout à fait perdue, il n’y aura pas de paix. Il ne s’agit pas uniquement ni même