le trajet étaient au pouvoir de l’ennemi, sans compter le réseau militaire abondant qu’il avait construit. Le mot de l’énigme est probablement dans cet axiome de géométrie élémentaire, que la ligne droite est le plus court chemin d’un point à un autre. Ypres, à un bout, Reims, à l’autre bout, étaient plus près du centre, Albert-Amiens-Montdidier, pour les Allemands que pour nous. L’erreur, s’il faut absolument qu’une erreur ait été commise, serait venue d’un excès de logique et d’un abus de psychologie. Parce que les, réserves allemandes, notamment les fameuses divisions de von Hutier, étaient massées en face d’Amiens, du moins après l’offensive de mars, on aurait été porté à en induire que la troisième ruée germanique du printemps de 1918 aurait encore Amiens pour objectif. On aurait trop vu Amiens même, pas assez le milieu de la corde, d’où les réserves allemandes pouvaient, à vitesse égale, être jetées indifféremment au Nord et au Sud, autant qu’à l’Ouest. On n’aurait aperçu la pointe que d’une des flèches sur trois, Soit. L’erreur par abus de psychologie aurait été, en somme, de trop spéculer sur la manie allemande de la répétition, ce qui était bien connaître l’ennemi, mais faire d’un principe vrai une application fausse; et l’erreur, par excès de logique, de prêter à l’esprit allemand plus d’enchaînement et de conséquence qu’il n’en met dans ses opérations, ce qui était faire d’une idée fausse une application arbitraire, en le faisant raisonner comme, à sa place, eût raisonné l’esprit français. L’attaque sur Amiens étant celle qui, en cas de succès, devait donner aux Allemands les plus grands résultats, celle aussi qu’ils avaient précédemment tentée, nous en aurions conclu que, logiquement et psychologiquement c’était toujours celle où ils persisteraient et ils s’obstineraient. Nous en aurions même oublié qu’en mars et avril, cette attaque n’avait été qu’au deuxième rang dans leurs desseins, qu’ils ne s’y étaient ralliés que subsidiairement, après l’échec d’une marche foudroyante sur Paris par la vallée de l’Oise, et qu’ils l’avaient elle-même, la sentant enrayée, quittée pour une troisième entreprise, leur offensive des Flandres. Sous l’empire de cette illusion, de cette quasi-hallucination, nous les aurions attendus vers Amiens. Mais eux, dans un secret impénétrable, renversaient leur jeu, se retournaient, se rabattaient sur Soissons et sur Reims.
Nous aurions donc été surpris. L’Empereur l’a télégraphié à l’Impératrice : « Les Anglais et les Français ont été complètement surpris. » Nous l’avons dit, pour notre part, peut-être avec quelque insistance. Nous avons accusé la nuit, le brouillard, le silence ; et