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souci des risques courus et des aléas librement consentis, représente une des pages les plus belles de la défense nationale. Sans cet effort d’adaptation créatrice, la France eût sans doute succombé rapidement, car dans cette guerre, l’âme de la nation, si forte fût-elle, n’eût pas suffi, si elle n’avait été soutenue, protégée par le souffle puissant et meurtrier des explosifs.

Pour compléter ce tableau, il me faudrait montrer ce que, à côte de la production primordiale de l’acide sulfurique, on a réalisé depuis la guerre pour procurer au service des poudres du nitrate d’ammoniaque et la cyanamide qui doit fournir l’acide nitrique synthétique et dont une production annuelle de plus de 16 000 tonnes est assurée par la compagnie de Saint-Gobain.

Après la guerre, toutes ces industries qu’elle a fait jaillir du sol français devront y subsister et s’y développer même, et notre pays n’aura qu’un faible effort à faire, appuyé d’un peu d’intelligence administrative, pour devenir un des grands producteurs chimiques de l’univers. — L’acide sulfurique trouvera des débouchés dans presque toutes les industries et dans l’agriculture, qui aura plus que jamais besoin de suppléer, par une culture intensive par engrais, à une main-d’œuvre devenue plus rare ; les produits de la famille du goudron de houille dont la production et la synthèse se seront développées par les explosifs, trouveront des débouchés importants dans la fabrication des matières colorantes. Ce sont en effet précisément ces produits qui sont à la base de cette industrie dont il faudra enlever aux Allemands l’outrageant monopole. — L’aniline par exemple, qui est un des éléments fondamentaux de ces matières, dérive directement de la benzine ; elle est donc cousine, germaine de sa sœur belliqueuse la mélinite.

Mais pour cela, pour que la France demain puisse, dans la lut le économique, utiliser cette armure industrielle que la guerre chimique lui a forgée et qui, dès maintenant, a transformé en centres d’activité, tout bourdonnants d’usines, tant de coins naguère dépeuplés de ce pays, il faut rejeter définitivement loin de nous cette haine égalitaire du talent et du succès, ces habitudes timorées, ces inerties d’un individualisme prudent qui paralyseraient ce pays, s’il ne les extirpe.

Deux conceptions se disputent aujourd’hui, se disputeront demain dans le monde l’empire des hommes et des choses. La première proclame que la lutte, l’antagonisme, la bataille sont les conditions nécessaires du progrès et du bonheur humain. Elle se réclame parfois de la théorie darwinienne de l’évolution ; elle a tort, car cette théorie