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On sait que parmi les engrais indispensables à l’agriculture, le plus important est constitué par- les superphosphates, dont la France avant la guerre consommait à peu près 1 700 000 tonnes pour son agriculture, dont la majeure partie provenait des usines de Saint-Gobain. Or, ce produit est obtenu par l’action de l’acide sulfurique sur les phosphates de chaux naturels (dont nous avons de grands gisements notamment dans l’Afrique du Nord). C’est ainsi que, à cause de la plus pacifique, de la plus virgilienne des industries, cette Compagnie, étant notre principal fournisseur d’acide sulfurique, s’est trouvée devenir la cheville ouvrière de notre chimie de guerre. Sans l’industrie des superphosphates nous n’aurions pas eu les explosifs dont nous avions besoin, et on frémit en pensant à ce qui serait arrivé. « Si vis bellum, para pacem » pourrait-on presque dire en présence de cette adaptation imprévue et belliqueuse de la plus pacifique des industries.

Cette adaptation ne fut d’ailleurs point facile : d’abord parce qu’il fallait à travers toutes les difficultés et les impossibilités matérielles augmenter beaucoup la production, mais surtout parce que, tandis que dans la fabrication des superphosphates on emploie l’acide sulfurique non concentré, tel qu’il sort des chambres de plomb, au contraire la chimie de guerre exigeait de l’acide concentré et de l’oléum. Il fallut créer et multiplier les appareils et les usines de concentration, modifier les procédés de fabrication. On y réussit si bien que, dès juin 1915, l’administration de la guerre pouvait disposer de 12 600 tonnes d’acide sulfurique concentré par mois, dont 10 600 tonnes provenant des usines de la Compagnie de Saint-Gobain. Depuis lors la production n’a pas arrêté sa marche ascendante, si bien que ces usines produisent en gros plus de vingt fois plus d’acide, sous ses différentes formes qu’avant la guerre. Leur capacité de production totale d’acide sulfurique pour la défense nationale ne doit pas à l’heure actuelle être éloignée de 100 à 120 000 tonnes par mois, ce qui fait honorablement figure à côté de la production allemande. L’entrée en ligne des Américains, qui vont naturellement nous fournir en grandes quantités les explosifs tout fabriqués, laisse d’ailleurs penser que, quelle que soit dorénavant la durée possible de la guerre, il ne sera pas nécessaire d’augmenter encore, en ce qui nous concerne, cette production formidable.

Il n’en restera pas moins que cet effort industriel d’improvisation chimique, réalisé par Saint-Gobain à travers des difficultés sans nombre de délai, de main-d’œuvre et de matières premières, et sans