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D’abord, et en dépit du fameux « avertissement aux Américains, » donné par lui-même peu de semaines auparavant, il suit le courant : il fait semblant de s’indigner avec l’opinion, il se refuse à croire. Aux journalistes qui l’assiègent, il assure, en souriant, qu’il y a certainement eu erreur. Il plaisante même de cette erreur, tant il est sûr qu’elle est réelle ; et c’est là une finesse bien germanique. Tapotant son avant-bras, affilant son nez, il demande comment un pauvre petit sous-marin de quelques tonnes, ayant un équipage d’une vingtaine d’hommes à peine, pourrait couler un géant anglais de la mer comme la Lusitania ? S’adressant à des gens passionnés de sport, il a soin de placer la question sur le terrain sportif : c’est le champion le plus faible qui est venu à bout de son adversaire de poids lourd ; David a fait mordre la poussière à Goliath ; le rétiaire, agile et léger, a abattu le magnifique gladiateur. Dans les salons, c’est au sentimentalisme américain qu’il s’adresse d’abord. Il mettra toute la faute sur le dos de l’Angleterre. Il montrera cette Angleterre affamant méchamment par son blocus les malheureuses femmes et les enfants de l’Allemagne, mettant enfin l’Allemagne dans la nécessité de se défendre comme elle peut et par des moyens qu’elle-même, certes, réprouve et déplore. Il dénoncera une fois de plus la perfidie de l’Angleterre, qui charge de munitions et d’obus ses bateaux de passagers et prétend se servir des citoyens américains comme d’un laisser-passer, d’un bouclier vivant pour protéger les engins de meurtre destinés à frapper l’Allemagne.

Cependant l’opinion est trop haut montée cette fois pour être apaisée par clés ergotages. Le sentiment populaire américain est blessé trop au vif dans sa loyauté naturelle et son amour de la justice : il se refuse à prendre le change.

La première et fameuse note « will not omit any word or act » qui traduit fièrement l’indignation publique fait sentir à l’Allemagne et à son ambassadeur que le temps n’est plus aux équivoques. L’ambassadeur le reconnaît avant l’Allemagne. En cette nouvelle occurrence, il se tait. Il attend que l’émotion qui, comme l’enthousiasme, n’a qu’un temps, s’apaise. Et il reporte, en attendant, son activité ailleurs. C’est alors, et pour faire dévier le courant d’indignation, qui devient dangereux pour l’Allemagne, qu’il invente, crée, monte de toutes pièces, lance enfin la fameuse « affaire des cotons » qui fut à deux doigts, —