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par sa puissance militaire, par sa dévotion à la cause des opprimés, est capable d’arracher à l’Angleterre l’affranchissement de l’Irlande. Elle compte, en outre, de précieuses sympathies parmi les Israélites, très puissants dans la grande banque de New-York, anciens et mortels ennemis de la Russie, fortement liés aux destinées de l’Allemagne par de gros intérêts financiers.

À ces quatre grands partis, qui sont acquis de longtemps aux intérêts de l’Allemagne, le comte Bernstorff en ajoute bientôt un cinquième. Car il n’a pas eu beaucoup de peine à apercevoir l’intérêt majeur que l’Allemagne aurait à se concilier les sympathies d’un groupe important d’Américains loyaux, rêveurs à courte vue, mais d’ailleurs de parfaite bonne foi et utopistes sincères, les pacifistes.

Tous ces champs d’activité et aussi bien de culture allemande sont, dans l’esprit de l’ambassadeur, comme une carte de géographie, plus justement encore, un plan stratégique. Ils lui sont tous sans cesse et également présents. C’est à mener ainsi l’action d’ensemble, tout en restant attentif aux moindres détails, qu’il s’attache, dès le début, avec une ténacité qui ne fera ensuite que s’accuser davantage.

Après s’être ainsi répandu dans tous les milieux, les salons, les clubs, et avoir fait cette énorme dépense d’ingéniosité laborieuse et de manœuvres en tous les sens, l’ambassadeur du gouvernement impérial, au printemps de 1914, quand il quitte Washington pour se rendre en Allemagne, peut croire avec tout le monde que sa situation personnelle et celle de l’Allemagne aux États-Unis sont très fortes, vraiment uniques. Cependant il les croit trop assurées, inébranlables. C’est l’impression qu’il en donnera à la Wilhelmstrasse et à son maître direct, le Kaiser. Ce sera sa plus grave erreur et celle qui finalement fera écrouler tout l’échafaudage. Il a trop confiance, une confiance trop aveugle, dans l’efficacité de ses méthodes et dans la sûreté avec laquelle il les emploie. Il ne doute pas du succès de l’entreprise allemande et de l’entreprise allemande menée par le comte Bernstorff. Ce sera non la seule cause, mais une des causes principales de l’échec final.

Une aptitude spéciale à créer, multiplier et enchevêtrer les intrigues, et dans les conditions ou les situations les plus diverses ; une constante application à conduire toutes ces intrigues de front et à surveiller chacune d’elles comme si elle