Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/900

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

beau, le visage à peine fané, le front haut, strié de rides singulières qui se groupent vers le nez, s’opposent, et aident les caricaturistes à lui accuser on ne sait quel air méphistophélique ; rasé toujours de près et ne portant que la moustache courte aux pointes dressées ; le geste de quelqu’un qui s’entraîne quotidiennement aux sports. Plus encore que par son excessive recherche d’élégance, qui fait paraître le pli du fer jusqu’aux manches du veston, il cherche à s’imposer par un air de force, de domination, par son regard aigu, froid, mobile, par le poids de sa démarche et de toute sa personne, par son imperturbable confiance en soi et par son assurance conquérante.

Dès son arrivée aux États-Unis, ayant su prendre place dans les milieux politiques et diplomatiques, il n’a cessé depuis lors de développer cette influence. Aux mois qui précèdent la guerre, on le trouve entretenant des relations, auxquelles il s’efforce de donner les apparences de la franchise et de la cordialité, avec un grand nombre des plus influents parmi les membres du Congrès. Au Metropolitan Club, à l’heure du cocktail, il s’arrange pour avoir toujours un petit cercle d’interlocuteurs et d’amis. Il fréquente assidûment tous les salons qui ont la cote. Il y apporte sa politesse voyante, ses manières qui veulent être de grand seigneur, son verbe haut, son rire sonore qui secoue ses larges épaules, enfin cette aisance que rien ne déconcerte. Dès qu’il entre, il fait en sorte d’accaparer, de centraliser l’attention. Il supplée au mieux à l’effacement décoratif de l’ambassadrice, qui se tient au premier rang, observe sa tenue, parle peu, semble penser moins encore. Il se multiplie, fait autant de frais auprès de la jeune femme d’un second secrétaire d’ambassade que dans la conversation avec la femme d’un officiel haut placé.

Son activité mondaine et sociale ne s’arrête pas là. Mélomane averti, il est l’abonné ponctuel de la grande série des concerts d’hiver. Il se montre aux courses, au théâtre, ne dédaigne pas les movies, enfin se fait voir partout où l’on peut être vu et, partout, il est vu l’œil allumé, la figure riante, la main tendue, le geste qui accueille, dans une affectation de réussite et de triomphe.

A Newport, où il fuit, durant l’été, la dure chaleur et le vide de Washington, il est plus que personne répandu dans le smart set, le clan des milliardaires. Pour se reposer et six