Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dorée, — un colossal palais fût enfin édifié/ les séances se tenaient provisoirement dans les bâtimens d’une ancienne manufacture de porcelaines, située dans la Leipzigerstrasse.

C’est là que, le jeudi 5 février 1874, eut lieu la séance d’ouverture de la nouvelle session. Mais, ce jour-là, les députés alsaciens-lorrains ne parurent pas ; ce n’est que dix jours plus tard, le lundi 16 février, qu’ils firent leur entrée au Reichstag.

« Die Franzose !  ! Les Français ! » Tel est le murmure qui courut dans les tribunes, parmi un public pressé et hostile, au moment de la solennelle entrée des députés de l’Alsace et de la Lorraine.

Émouvant spectacle ! Tous, en corps, unis dans leur marche comme ils l’étaient de cœur, les quinze députés s’avançaient, tête haute, superbes de calme dignité et de fière assurance. A leur tête, deux évêques en grand costume épiscopal, croix pastorale sur la poitrine et anneau d’or sur le gant. L’un, l’évêque de Metz, Mgr Dupont des Loges, « une belle figure monacale et presque ascétique, dit un témoin, avec cette expression digne et ce grand air qu’avaient les ecclésiastiques nobles du siècle dernier. Sa belle tête, demi-chauve, entourée comme d’une couronne de longues boucles de cheveux blancs, son pâle visage ovale lui donnent une expression douce et attristée[1]. » L’autre, Mgr Raess, évêque de Strasbourg, « a bien le type allemand, dit le même témoin ; mais ce type est comme détendu par la bonhomie et la cordialité françaises. Au reste, c’est une large tête carrée, avec des cheveux droits, durs et blancs, débordant sous une petite calotte de moire violette fleurie d’un petit nœud de ruban rouge. » Agé de plus de quatre-vingts ans, Mgr Raess portait maintenant avec quelque fatigue le poids des années.

Avec les deux prélats marchaient tous leurs collègues : deux prêtres en soutane, les autres simplement vêtus de noir ainsi que les laïques, tous en deuil de la patrie.

Sur la foule hostile des assistans s’étendit soudain une vague d’intense curiosité, mêlée d’involontaire respect. On se montrait les députés, on se murmurait leurs noms.

Après les deux évêques, c’étaient pour l’Alsace du Haut-Rhin, MM. Hœffely, de religion protestante, député libéral de

  1. Gazette de France, 19 février. Correspondance de Berlin, datée du 16.