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fut-ce avec mes os. » Mais, elle doute, et quelques jours après ce qu’on vient de lire, elle écrit encore[1] :


A F. BULOZ

« J’ai pensé à ce que vous m’avez dit du livre de Musset ; ne le mettez pas sous presse sans le lire, mon cher ami, et si vous avez quelque influence sur lui, ne me laissez pas injurier. Je m’attends bien à quelque méchant coup de griffe, il sait tellement que je ne suis pas d’un caractère vindicatif en littérature, qu’il pourrait me draper selon son humeur du moment. J’avoue que cela ne me plairait guère, et ne me semblerait ni beau, ni honnête, comme dit Sganarelle…

« Vous êtes, je crois, près d’Alfred dans une position qui vous donne le droit de représentation et d’observation, je suis votre marchandise, et il ne peut trouver mauvais que vous défendiez l’honneur d’un nom qui est votre fond de boutique.

« Après tout, je n’attache par une immense importance à tout cela. Ce serait une contrariété et rien de plus. On n’impose rien à la postérité, et s’il y a postérité pour moi (ce dont je doute un peu) elle me fera ma part aussi bonne et aussi mauvaise que je la mérite. S’il n’y a pas postérité (ce dont je me flatte), ma vie est arrangée désormais de manière à ce que les balles arrivent mortes. Ce dont Alfred ne se doute guère, et ce que je n’ai jamais eu la cruauté de lui dire nettement, c’est que sa réputation est plus attaquée que la mienne. La réhabilitera-t-il en jetant des pierres au toit sous lequel il a dormi ? J’en doute. Il se ferait plus de mal qu’à moi.

« Menez cela à bien. Vous êtes dans une position entre les deux camps. Vous savez que je ne suis pas hostile, je ne sais rien de lui, sinon que sa mère vend mes billets aux faiseurs d’albums, ce qui est un vilain commerce qui ne doit pas rapporter grand’chose[2]. Moi, je ne donnerais pas deux liards de la plus belle lettre que j’ai écrite dans ma vie.

« Bonsoir, vieux, je m’endors. Les hommages de George à Margarita… L’article de Sainte-Beuve sur Villemain est diablement embêtant. Celui de Chateaubriand en revanche est très coquet[3]. »

« GEORGE. »

  1. F. Buloz a écrit au dos de cette lettre : Commencement de l’année 1836 ; elle paraît être de janvier.
  2. Qui a pu faire un pareil rapport à George Sand ?
  3. Inédite.