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avez proclamé mon règne, vous devriez bien donner l’exemple de la soumission, et ne pas percer le voile sacré dont ma divinité a jugé à propos de s’envelopper. Dans quelques jours je vous appellerai à venir baiser le bout de ma pantoufle, et vous y viendrez, car j’ai du nanan pour vous, et l’odeur du manuscrit vous alléchera.

« Nous parlerons affaires et vous me conterez vos soucis d’amour. Il parait, mon pauvre fou, que vous vous étiez laissé prendre[1] ; vous ne voulez pas que je vous raille, et Dieu m’en garde, si vous avez réellement du chagrin, mais votre manière de parler est si énigmatique, que je ne sais pas encore si c’est une peine de cœur pour vous, ou une affaire d’argent échouée que ce mariage manqué. Si vous êtes blessé par Cupidon, je vous plains sincèrement ; si c’est Plutus qui vous fait la grimace, je vous dirai : travaillons et réparons le temps perdu. Je vois dans tout cela un grand bonheur pour vous, c’est que vous avez échappé au mariage, c’est-à-dire à une chose que vous désirez beaucoup, et dont vous vous seriez beaucoup repenti.

« Adieu, mon vieux… Envoyez-moi le n° du 1er et le matelas qui est chez vous.

« Tout à vous.

« GEORGE[2]. »


C’est ainsi que George console son ami Buloz, et lui parle de son mariage, momentanément rompu, avec Mlle Blaze.

La lettre suivante porte le timbre de la poste : 24 juillet 1835 ; elle a dû être écrite à Bourges, et mise à la poste à Paris :

« Mon cher Reviewer, je ne suis ni assassinée ni enlevée. Je me porte assez mal d’ailleurs, mais moralement très bien. Je suis enfermée dans une maison déserte, et je travaille énormément. Je n’ai pas été en Bretagne, craignant d’y tomber malade, je ne vous dis pas où je suis, vous êtes trop bavard (pour les petites choses). Dites à ceux qui vous demanderont de mes nouvelles, que je suis en Chine, et qu’ils me laissent en paix… Si vous avez quelque chose à me dire, ou à me demander, Boucoiran nous fera passer les précieux autographes l’un de l’autre…

  1. Il est assez plaisant de voir « George » « gourmander quelqu’un à qui il est arrivé d’être amoureux et de s’être laissé prendre ! »
  2. Inédite.