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situer ce témoignage, il faut préciser la nature des préoccupations de son auteur avant cet engagement volontaire de 1914. On verra que Raymond Jubert est vraiment représentatif de ce soldat écrivain dans lequel je crois reconnaître un des types nouveaux de l’armée actuelle. Il s’apparente par plusieurs points à un Vigny, à un Vauvenargues. Mais ceux-ci étaient des gentilshommes destinés à l’épée par leurs traditions de famille, au lieu que Raymond Jubert, né à Charleville dans un milieu d’usines, semblait mal préparé par ses hérédités et par son éducation à la besogne périlleuse et sanglante dont il aura été un si brave ouvrier. Sans doute Charleville est sur la Meuse, et la frontière toute voisine, mais une frontière amie, celle de la Belgique. C’est bien ici une de nos marches, mais une marche d’industrie, une marche pacifique, si l’on peut dire. Aussi l’enfant, sur les bancs du collège, rêve-t-il d’un métier qui suppose la paix. Il fait ses études, qui sont brillantes, à l’Institution libre de Saint-Remy. En même temps qu’il s’y pénètre de convictions religieuses qui ne le quitteront plus, il s’y sature d’humanisme. L’appétit d’écrire s’éveille en lui. Il veut être poète. A quatorze ans, il envoie à François Coppée des vers que j’ai sous les yeux. J’en transcris la dernière stance à laquelle la matinée du 16 août 1917 donne une signification de pressentiment :


Pour cela, nous suivrons l’exemple de nos pères,
Et, portant fermement le drapeau, nous irons
Défendre notre foi, le pays et nos frères,
Et s’il le faut, nous périrons.


Au-dessous de ces vers, le poète a signé, de son écriture nerveuse, en faisant précéder son nom de cette devise : Salus Patriæ suprema lex. Mais le mince recueil qu’il publiait deux ans plus tard, sous un pseudonyme : Jeunesse fervente, le prouve, le futur combattant de Verdun se dessinait en imagination un tout autre avenir que celui d’un chef de section menant ses « biffins » à l’assaut d’une tranchée boche. Cette plaquette est dédiée à Mme la comtesse Anna de Noailles, et l’admiration témoignée ainsi à la jeune et géniale poète du Cœur innombrable révèle avec quelle ardeur le rhétoricien de Charleville épiait déjà le mouvement de la littérature contemporaine. Cette ardeur littéraire, ni les études de droit qui