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dimanche de juin sans nuages se lève en silence sur la ville, qui va enfin reposer quelques instants dans une délicieuse paix, et les grandes phalènes nocturnes, leur garde finie, s’éloignent, redescendent vers leurs dortoirs ; dans l’air léger qui s’éclaire, on ne les entend plus qu’à peine.

Mais tout à coup voici les sonorités toutes neuves de la pointe du jour affreusement déchirées par le plus sinistre des cris que le monde ait jamais connus ; aucune bote, ni le lion, ni l’éléphant même n’approchent de la puissance de cette voix-là ; en gémissements chromatiques, cela monte, cela redescend et cela remonte ; on dirait la fureur ou l’agonie de quelque monstre géant… Avant d’avoir compris, rien que d’avoir entendu, on est glacé et les cheveux se dressent… Ah ! oui, on sait ce que signifie l’aubade ; c’est la grande sirène d’alarme qui nous la chante, et cela veut dire : « La mort, la mort, voici la mort qui arrive là-haut dans l’air ! La mort, la mort, qui va passer sur vos têtes ! » Et aussitôt, de tous les côtés à la fois, éclate le tonnerre tout proche de l’artillerie. Ils n’ont pas fait traîner la riposte, nos canonniers veilleurs. Maintenant donc c’est devenu soudain une bacchanale d’enfer, mais dominée toujours par ce même gémissement initial qui avait tout déclenché, et on a envie de crier à la sirène : « Non, assez ! on a compris, faites-nous grâce, on aime mieux mourir que de subir tout le temps ce cri-là ! » J’ai entendu beaucoup de sirènes dans ma vie, et aujourd’hui, hélas ! tous les Parisiens ont dû s’y habituer, mais le cri le plus horrible qui reste dans ma mémoire est toujours celui de Dunkerque.

L’alerte a été courte. Les gentils oiseaux boches ont pris la fuite. Tout est redevenu calme et silencieux, comme pour fêter le beau soleil qui se lève. Il y a seulement çà et là, sous les décombres encore pantelants, des gens qui sont morts, d’autres qui râlent, des femmes, des vieillards, de pauvres tout petits dans des berceaux, — et c’est là une de ces nouvelles formes de guerre inaugurées par la haute culture allemande.


Je comptais passer mon dimanche à visiter les D. C. A. d’alentour. (En français, D. C. A. cela se dit défenses contre avions.) Mais un cycliste arrive de Belgique, m’apportant une enveloppe timbrée aux armes des souverains martyrs : l’audience