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est déjà délicate, elle ne donne pas lieu à la millième partie des contestations que ferait naître l’évaluation des capitaux immobiliers et mobiliers. Le prix d’un immeuble n’est réellement connu que le jour où il est mis en vente. Ce prix varie non seulement selon les époques, mais d’après les dispositions individuelles, les goûts, la convenance des acheteurs. Aujourd’hui peut se présenter une demande qui aura disparu demain et qui ne serait remplacée que par une offre bien inférieure. La moindre complication politique, à plus forte raison une crise comme celle que le monde traverse en ce moment, bouleversent l’échelle des prix. Quant aux valeurs mobilières, on sait à quelles fluctuations elles sont exposées. Les écarts sont violents ; pour beaucoup d’entre elles, les échanges sont rares, les cours incertains ou même inconnus. Pour celles-là même qui sont cotées à la Bourse, il est souvent difficile d’obtenir un cours sincère : en tout cas, ce cours n’a de signification que pour le jour où il est inscrit ; il ne tarde pas à disparaître et à être remplacé par une cote plus basse ou plus élevée.

La difficulté est encore bien plus grave lorsqu’il s’agit de meubles corporels, d’objets d’art, de bijoux. Ici les experts les plus habiles se trompent parfois grossièrement dans leurs évaluations. En tout cas, les conditions spéciales du marché de chaque catégorie d’objets, l’état général des affaires, la situation politique non seulement de notre pays mais du reste du monde, ont une action considérable sur les prix. Rien ne serait plus capricieux et plus arbitraire que l’estimation de cette partie du patrimoine. Elle est cependant importante en France, où le goût artistique est si développé, où tant d’hommes cultivés se plaisent à acquérir et à conserver des livres, des tableaux, des estampes, des gravures, des objets de toute sorte, dont la valeur, si on les considère séparément, n’est pas toujours très grande, qui en acquièrent une bien supérieure par le fait de leur réunion en collection. Le prix de celle-ci peut être hors de proportion avec la fortune du possesseur, qui a consacré à ce labeur des années de patience et de sagacité. En le frappant d’une taxe annuelle qui dépassera ses moyens, on le forcerait à vendre son trésor, qui représente pour lui une jouissance artistique, une satisfaction de tous les instants, souvent la consolation de ses vieux jours. Ce serait, du même coup, décourager tous ceux qui seraient tentés d’agir de même. Or,