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intense à la vie de notre pays qui bat sous la menace avec une vigueur nouvelle.


FRISSON

Avec la secrète anxiété fille des longs espoirs, elle est arrivée, l’heure tant attendue ! La nouvelle nous parvient que l’offensive est déclenchée depuis hier. J’entends en mon cœur le canon d’Arras, et la ruée des six cent mille jeunes hommes, le boute-selle des deux cents escadrons. J’avais redouté que le choc ne fit naître ici qu’un grêle écho, le désir lassé d’une fin plus proche. Non, c’est la joie qui chante, le souverain appel d’action, la frénésie de la marche. Nous sommes loin de la bataille, mais toute l’armée est une même chair vivante, et quelle artériole ne battrait point à de tels soubresauts de l’aorte ?

Cette nuit à deux heures, un grand silence s’est fait dans la ligne ennemie. Jusque-là, ils avaient, comme ils en ont la coutume dans les nuits énervées, tiraillé de leurs créneaux sur nos parapets. Aucun bruit maintenant : l’aube de trois heures, se levant paisible sur la plaine de Mai, n’a pas éveillé comme à l’ordinaire artilleurs et bombardiers. Un calme d’étrange aloi règne sur ce jour, le second de la bataille, et nous ne savons rien encore du premier. Pour faire face à l’attaque irrésistible, l’ennemi a-t-il dû jusque devant, nous retirer ses troupes ?

Il est manifeste qu’elles ne donnent aucun signe de présence. En vain l’escouade d’un avant-poste a-t-elle confectionné un mannequin d’une capote bourrée de paille, et l’a-t-elle calé dans un recoin, bien en vue, un fusil à l’épaule. Aucune balle ne vient siffler alentour. Je scrute à la jumelle chaque créneau, et l’espace visible au-delà des tranchées. Rien ne bouge dans la campagne déserte et pâle qui s’apprête pour la longue journée solaire. A distance, sur une maison ajourée par l’artillerie, un drapeau allemand, que je n’avais pas remarqué la veille, est juché comme une protestation dans la fuite.

Nos canons, faisant sonner les ruines de Nieuport, commencent un tir de réglage ; seuls répondent, tout proches, les échos de Lombaertzyde. Nos avions sortent et se promènent, bourdonnants aux virages. Une batterie lointaine éparpille autour d’eux de petits nuages blancs : il y a donc encore des ennemis là-bas, du côté d’Ostende ? Mais ces pièces légères se