Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que 700 hommes au milieu des millions de soldats qui se ruent au carnage ? » disent les esprits vulgaires, pour qui les réalités matérielles et arithmétiques méritent seules de compter. — Mais, d’abord, songeons que la colonie tchèque en France était très restreinte : 1 200 individus seulement. En envoyant à l’armée française 700 de ses fils, elle a donc fait un sacrifice considérable. Combien de nations ont sur le front soixante pour cent d’elles mêmes ?

Mais en pareille matière il faut s’élever au-dessus des chiffres bruts : certains dévouements valent par la qualité plus que par le nombre. À ce titre, le petit bataillon tchèque du 1er Etranger défie toute comparaison, même avec les plus vaillants fils de France. Faisons taire nos humbles paroles d’historien : ici, il sied que ce soient les faits qui louent.

Dès les jours tragiques de Charleroi commence la coopération sanglante des Tchèques à notre défense nationale : ils n’attendent pas, pour nous aider, l’heure ensoleillée de la victoire ; ils optent pour nous, virilement, au moment où la fortune de la France peut sembler désespérée. Deux d’entre eux tombent sur le champ de bataille même de Charleroi, deux autres dans la retraite qui suit. A la bataille d’Arras, le 9 mai 1915, la compagnie tchèque se déroule pour la première fois en ligne de combat, sous les plis de l’étendard rouge au lion d’argent : elle paie cette gloire, ressentie avec tant de fierté, du prix de cinquante morts (42 à Targette et 8 à Souchez). Puis continue la liste héroïque des sacrifices : cinq morts à Tahure, quatorze en Picardie, six à Reims, quatre à Monastir, un au Maroc. Au total, cent dix morts et cent quatre-vingts réformés, dont la plupart avec de graves blessures. Quant aux récompenses que les volontaires tchèques peuvent mettre en regard du sang répandu, elles sont éloquentes aussi : une Légion d’honneur, douze médailles militaires, cent dix croix de guerre, une croix de Saint-Vladimir, trois de Saint-Stanislas, cinq croix et vingt et une médailles de Saint-Georges, une médaille d’or serbe, en tout cent cinquante et une décorations. Enfin, si le 1er Etranger a reçu successivement la fourragère verte et rouge en 1916, la fourragère verte et jaune en 1917, et, tout récemment, — gloire unique dans l’armée française, — la fourragère aux couleurs de la Légion d’honneur, les Tchèques qui servent dans ses rangs ne sont pas ceux qui ont