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bleu horizon, plus d’un Cyrano et d’un Fanfan la Tulipe. Mais ils ne sont pas caractéristiques du soldat actuel. Ce qui le caractérise, c’est le type qui tranche le plus vivement sur ses prédécesseurs. Il n’est pas apparu tout de suite. Au début, aux jours d’été 1914, le premier élan du soldat jeune, inexpérimenté, confiant, courant au sacrifice dans une ivresse quasi mystique, les nouveaux officiers arborant le casoar et les gants blancs évoquaient une France de jadis, élégante et téméraire.

« Ce sont les mêmes ! » s’écriait en les voyant, un officier prussien qui se souvenait de 1870. Mais à mesure que la guerre s’est prolongée, dure et lente, un trait s’est dégagé qui a fixé le type. C’est l’homme de la tranchée, casqué, habillé d’un bleu que la boue a rompu, chargé d’engins et d’outils, de grenades, de pioches et de pelles, le vétéran réfléchi, tenace, endurant, venu de l’usine et surtout du champ, qui défend la terre avec l’âpreté qu’il mettait à la cultiver, simplement héroïque sans phrases, presque silencieux, philosophe à sa manière, un peu fataliste, servant son idéal sans le définir, rompu aux finesses du métier, sachant ce que vaut l’ennemi et conscient de sa propre force, — c’est le « poilu. » Assurément, il y a bien d’autres types de soldats dans cette guerre : il y a le loustic gai, fantaisiste, la « fine galette » d’autrefois ou le joyeux « bahuteur. » Il y a l’officier correct et réservé, mais le plus représentatif reste le « bonhomme » ou le « poilu. »

Est-il pittoresque ? Certes. Sa silhouette, pour être moins voyante que celle de ses aînés, n’en est pas moins tentante pour le crayon de l’artiste, surtout surchargée de tout le fourniment de campagne, depuis le fusil jusqu’à la musette : les Vernet, les Meissonier, les Détaille eussent poussé des cris de joie en le voyant. M. Steinlen, M. Georges Leroux, M. Charles Hoffbauër, M. Georges Bruyer, M. Georges Scott et surtout M. Lucien Jouas nous en ont déjà montré des images très savoureuses. Et il diffère assez de ses aînés pour qu’il y ait un intérêt véritable à le peindre. Ce n’est pas le soldat de métier, victime du racoleur ou tête folle de gloire, heureux de vivre entre la fille et la fiole, avec de beaux galons sur sa manche. L’épaulette d’or ne brille pas dans ses rêves. Il ne s’est pas engagé, — sinon parfois pour la durée de cette guerre : — il n’a jamais souhaité d’aller faire la guerre aux autres, des entrées triomphales dans des capitales lointaines, des ripailles et des