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XVIe siècle, est parfois voilé. Nous touchons au dernier trait caractéristique de la guerre moderne : l’arrivée sur le champ de bataille d’auxiliaires déloyaux et sournois : le chlore, le brome, les vapeurs nitreuses, et alors pour s’en défendre l’apparition de ces masques et cagoules aux yeux de verre ronds, qui évoquent, dans les tranchées, l’image des Pénitents de jadis, des Frères de la Miséricorde, ou encore le sac à fenêtre rectangulaire ou le groin des Allemands, qui leur pend sous le menton.

Déjà M. Clairin a tenté de reproduire quelques-uns de ces aspects dans son tableau : Les Masques et les gaz asphyxiants. Ainsi le gaz qui est une arme amorphe oblige l’homme à revêtir une armure amorphe qui cache sa personnalité. C’est la lutte de l’invisible contre l’invisible. Que veut-on que le peintre en fasse ? Certes, le drame n’est pas moins poignant : il est plus poignant peut-être qu’aux beaux jours du combat chevaleresque. Il exige des nerfs plus solides, une conscience plus assurée, une obstination plus constante. Mais il ne se manifeste plus par des gestes qu’on puisse peindre : il se passe tout entier dans le cœur de l’homme.


III. — L’HOMME

Reste donc à considérer l’homme lui-même, — c’est-à-dire la physionomie du soldat de 1918, sans se préoccuper de ses gestes si peu révélateurs de l’action. Peut-être offre-t-il au peintre un intérêt pittoresque et nouveau. Chaque époque et pour ainsi dire chaque guerre a créé son type de soldat bien défini. Le Puritain ou la tête ronde du Cromwell ne ressemble pas au Tommy. Le reître de Wallenstein est tout à fait autre chose que le grenadier de Frédéric II. Il y a une différence sensible, et qui ne tient pas toute au costume, entre le turbulent mousquetaire de Louis XIII, le poli et discret garde-française de Fontenoy, le hautain et calme grenadier de Napoléon, et le soldat d’Afrique loustic et bronzé, qui brûla dans les tableaux de Neuville ses « dernières cartouches. » A la vérité, ces différents types du soldat français se retrouvent et coexistent à toutes les époques.

Nos grands-pères ont connu le « poilu : » il s’appelait alors le « grognard. » Peut-être voyons-nous passer, sous le costume