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dénouements, c’est leur brusquerie, la sécheresse voulue des paroles suprêmes, fut-ce celles des adieux. Dédaignant, repoussant, là comme ailleurs, les « effets » qui, sans affaiblir la conclusion du drame, eussent, momentanément du moins, atténué notre malaise, M. de Curel nous sèvre de cette « douce terreur, » de cette « pitié charmante » où Boileau voyait les formes essentielles du pathétique. A l’heure où, devant sa méchanceté persistante, Julie Renaudin retourne au couvent, comme un fauve repentant rentrerait dans sa cage, sa mère s’adonne à des soins ménagers, et c’est une comparse qui prononce cet adieu laconique et inquiétant : « Pauvre Julie !… Ah ! s’il n’y avait pas l’autre vie !… » De même, au moment de se séparer pour jamais, après l’aveu de leur désenchantement respectif, Hubert et Anna de Grécourt se quittent sur ces simples mots : « HUBERT. J’entends les petites. — ANNA. C’est le départ. » (L’Invitée.) Des acteurs avisés ajoutent-ils à ce texte dépouillé le pathétique de leurs gestes appris ? Peut-être. Mais comment ne pas remarquer chez l’auteur l’horreur de l’émotion facile et du succès banal ?


Ce parti pris de sécheresse apparente, ce refus de condescendre aux conventions théâtrales expliquent, en partie, certaines résistances du public. Ils ne doivent pas nous induire en erreur. Sobre, dépouillé, austère si l’on veut, le pathétique de M. de Curel est un pathétique concentré, mais d’une singulière puissance. Dédaigneux des émotions superficielles, il pénètre jusqu’au fond de l’âme. On s’en aperçoit moins peut-être à la représentation qu’à la lecture ; mais, à chaque lecture, on le trouve chaque fois plus riche et plus émouvant.

Ceux-là même de ses personnages qui, par discrétion mondaine, orgueilleuse pudeur ou volonté stoïque, s’interdisent les mots sonores et les grands gestes, confessent leur souffrance ou résument leur triste sagesse en des phrases simples aux retentissements lointains et prolongés. Le plus souvent, c’est l’aveu direct sans fausse modestie, sans emphase non plus : « Dans le vide affreux de mon cœur, je mesure ce qui m’est à jamais refusé… Depuis longtemps, je savais ce qu’il en coûte de supprimer en soi-même les sentiments que Dieu y a mis. On en souffre tant qu’on les garde, et l’on reste inconsolable de les