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impression subsiste pourtant, de gêne ou d’incertitude. Les héros de M. de Curel mettent trop souvent leur fierté à cacher le meilleur d’eux-mêmes et, pour dérober à nos yeux ce qu’ils croient la faiblesse de leur cœur, ils nous refusent presque toujours le plaisir de les plaindre.


III. — LE PATHÉTIQUE

Par là s’explique, en partie du moins, le pathétique tout particulier de ce théâtre.

Que M. de Curel ait le don, l’amour aussi, du pathétique, le choix de ses sujets l’indique assez. Nul poète peut-être n’inventa drames plus douloureux, plus féconds en conséquences terribles ni plus riches d’enseignements. Mais nul aussi ne se soucie moins de nous arracher des larmes :

Vive le mélodrame où Margot a pleuré !

s’écrie Musset. M. de Curel doit, j’imagine, trouver ce vers bien-ridicule, et bien naïf encore celui du vieux Boileau :

Pour me tirer des pleurs, il faut que vous pleuriez.

Julie Renaudin, Françoise de Renneval, Anna de Grécourt, Gabrielle, Régine, Théodore de Monneville même et Marie la sauvagesse, Robert de Chantemelle, Michel Prinson, Albert et Louise Donnat ne cherchent pas à nous attendrir. Dressés par la discipline du cloître, de l’honneur, de la science, ou simplement par celle du malheur et de l’orgueil, ils exercent sur leur sensibilité une contrainte incessante. Tyrans des autres souvent, tyrans d’eux-mêmes presque toujours, ils dédaignent la sympathie et repoussent la pitié.

De ceci, les protagonistes nous fourniraient aisément de nombreux exemples ; un personnage de second plan nous en apporte une preuve peut-être plus caractéristique. Théodore de Monneville a connu la disgrâce commune, paraît-il, aux maris trop vieux d’une femme trop jeune et trop jolie. Il l’a supportée avec la dignité d’un gentilhomme et d’un savant, « en y mettant même une certaine bonté. » Mais il se refuse la joie d’être bon avec simplicité ; dédaigneux des consolations humaines, privé des consolations surnaturelles, il se rabat sur des joies bien médiocres et bien compliquées, « Un