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offrait des sacrifices, le charivari des sorciers, et des gâteaux dont s’empiffraient les voisins.

Aux nouveautés qu’apportaient les Japonais et à leurs ballots de marchandises, il fallait des routes ; et la Corée n’était sillonnée que de sentiers. Tout le commerce intérieur se faisait à des d’hommes et de bêtes, ce qui donnait à la corporation des portefaix une autorité qui contre-balançait celle du gouvernement. Ils ne reconnaissaient le pouvoir ni des nobles ni des mandarins. Dans les temps de troubles, au seul bruit qu’ils pourraient descendre à Séoul, le Roi et les ministres tremblaient, et les habitants se mettaient en état de siège. Ils étaient les routes vivantes, et tenaient toute la vie du pays sur leurs fortes épaules. C’en est fait de leur importance ; et la légende de leurs prouesses se mêlera d’ici peu aux récits fantastiques qu’on se raconte le soir sur les nattes fumeuses des paillottes et des auberges. Les Japonais auront bientôt couvert leur nouvelle province de grands chemins et de voies ferrées.

Ils commencent aussi à reboiser les collines. Les potiers comptaient parmi les agents les plus actifs du déboisement. Leur caste nomade promenait la dévastation. Ils s’établissaient au pied d’une forêt, y construisaient leur village et leurs fours et ne décampaient qu’après avoir brûlé jusqu’au dernier arbre. Le gouvernement japonais n’a pas jugé utile de prendre des mesures contre eux : il sait que leur industrie ne résistera pas à la concurrence. Aucune industrie coréenne n’y résistera, sauf celle des sandales de paille, et, pendant encore un certain temps, celles des vêtements de chanvre, qui sont les vêtements de deuil, et des prodigieux chapeaux. Le papier même, l’excellent papier dont on fait des tapis, des manteaux, des souliers, des paniers, des vitres, coûte trop cher ; et voici longtemps que les Coréens achètent leur toile en Amérique, leur soie en Chine ou au Japon.

Ce peuple avait besoin d’une entière rééducation. Les Japonais ont ouvert partout des écoles communales, et des écoles industrielles et des écoles d’agriculture et de commerce. On leur reproche d’avoir supprimé l’École des Langues étrangères, l’École de Birukoff. Je ne dis pas qu’il n’y ait pas eu dans cette suppression le désir de soustraire leurs frères coréens au danger des influences européennes. Mais l’organisation en était très insuffisante ; et le plus pressé n’était point d’enseigner aux