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renvoyé au mandarin les yeux crevés. Et le mandarin n’avait rien osé dire. Mais il dut prendre sa revanche sur ses administrés.

Plus de nobles ! Plus de mandarins ! Les premiers temps d’un si beau régime parurent fort étranges aux Coréens. Ils n’avaient pas imaginé qu’on pût vivre sans être tondu. Ils en éprouvèrent la même sorte de malaise que nous produisent les grands troubles atmosphériques. Il est vrai que les aventuriers japonais, accourus au lendemain de l’annexion comme des mouches autour d’une blessure, réintroduisirent bientôt dans leur vie l’élément de terreur qui semblait leur manquer. Tout au moins, ils leur épargnèrent une transition trop brusque entre la rudesse de l’ancien régime et la douceur du nouveau. Mais le gouvernement abrégea cette période de transition. Les aventuriers disparurent, et les Coréens s’accoutumèrent enfin au train d’une existence normale. On vous dira que l’administration japonaise n’est pas parfaite, que ses levées d’impôts ne se font pas toujours selon les principes de la justice ; que ses fonctionnaires grappillent ; que sa police, défiante à l’excès, multiplie les règlements et les restrictions. Mais que sont ces vexations à côté de l’arbitraire et des violences dont le peuple a souffert pendant si longtemps ? La vérité est que, de jour en jour, il regrette moins l’ancien régime et que son patriotisme n’est pas assez intransigeant pour qu’il préfère la tyrannie de ses nobles et de ses mandarins indigènes aux petites rigueurs administratives et aux malversations intermittentes des fonctionnaires étrangers. D’ailleurs, la police japonaise fait vivre un certain nombre de Coréens dont elle rétribue les services. Les Coréens ont un penchant irrésistible à la délation. Il n’y eut jamais de complot dont plusieurs conjurés ne luttèrent à qui le dénoncerait le premier.

L’ordre assuré, les Japonais ont entrepris de nettoyer ce vieux pays appesanti sous sa crasse, et que ravageaient le typhus, la petite vérole et le choléra. Ils ont tué le choléra et ils ont imposé la vaccination. Songez que, naguère encore, lorsque la petite vérole arrivait dans un village, les pauvres gens n’avaient inventé d’autre remède, que « de traiter magnifiquement et de loger superbement » cette terrible hôtesse. On dressait devant chaque maison une table chargée de fruits. Dès qu’elle y était entrée, on bariolait la porte avec de la terre jaune pour empêcher les passants de venir la déranger. On lui