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fait est qu’il vit toujours et qu’il continue de bâtir. Mais ce bâtisseur fut surtout un fossoyeur ; et, de tout ce qu’il a bâti, rien ne sera plus durable que le tombeau de sa royauté.

L’assassinat de la Reine l’avait épouvanté. Le lendemain, on extorqua à quelques-uns de ses ministres un décret qui la condamnait et qui la déclarait déchue de sa dignité et « devenue une femme du commun » (du commun des morts ! ). Le Journal officiel l’inséra, mais sans la signature du Roi.« Coupez ma main, aurait-il dit à son père, à ses ministres et à Miura, et si cette main coupée peut signer le décret, j’y consens ; mais, tant qu’elle adhérera à mon corps, elle ne signera pas. » Ce fut un de ses rares sursauts d’énergie. Le malheureux n’avait personne à qui se fier : son père travaillait contre lui ; son fils était un faible d’esprit ; ses meilleurs ministres le quittaient avec insolence. Le ministre des Finances démissionnait bruyamment et faisait apposer à la porte du ministère une affiche où on lisait : « Tant que la Mère du Royaume ne sera pas vengée, comment le sujet du Roi supporterait-il de rester sur la scène du monde ? » Le Roi ne voyait plus de salut que dans le secours des nations européennes. Il appelait autour de lui les représentants de la Russie, de la France, de l’Amérique, de l’Angleterre. Il faisait aussi bon marché du protocole qu’un naufragé de sa boite à chapeau. Il leur serrait les mains. Il les implorait : « Me sauverez-vous ? » — « Sire, lui disait l’un, coupez-vous les cheveux. Donnez cet exemple à vos sujets. Tant qu’ils garderont cette chevelure luxuriante qui remonte à l’origine du monde, votre pays ne réalisera aucun progrès. Votre faiblesse est dans vos cheveux. » — « Sire, lui disait l’autre, vous ne sortirez de difficulté qu’en créant beaucoup d’écoles industrielles et une Ecole des Langues étrangères. » — Et le troisième lui disait : « Soyez démocrate, Sire. L’avenir est aux idées démocratiques. » — Et le quatrième : « Sire, il importe avant tout que vous ayez recours aux capitaux étrangers. Accordez-moi la concession d’une mine ou d’une voie ferrée. »

Un jour qu’une échauffourée avait éclaté au Palais, il se sauva, tête nue, dans la chaise à porteurs d’une ancienne concubine. Sa mère, la femme du Régent, qui s’était faite secrètement catholique, envoya demander à l’évêque, Mgr Mutel, ce qu’était devenu son fils. Il s’était réfugié à la Légation russe